Je n’arrive pas à comprendre comment 8 notes et leurs altérations arrivent encore à produire des mélodies et des arrangements nouveaux, depuis la nuit des temps d’où elles vibrent. Le vertige de l’infini à portée de main. Du grec ancien, « montrer son âme », le psychédélisme hérité des années 60, corrélations entre les sens et les activités psychiques, dans un contexte artistique, pourrait bien convenir pour parler de la musique de Robbing Millions. Ce club des 5 de la musique indie réussit le tour de force de créer une musique originale, inspirée et battant pavillon pour de nouveaux territoires.
Dans une interview pour EDC Magazine, Lucien Fraipont, chanteur et lead guitare, déclarait à propos du nom du groupe : « C’est plus une sorte de blague sur Robbie Williams, Robbie ou Robin, l’acteur ou le chanteur, on réfléchissait à des noms de groupe et puis Gaspard cherchait dans des vieux films noirs des années 40-50, on est tombé sur »quick millions » puis on en a reparlé… On est revenu sur cette idée sur Robbie Williams. Puis on a trouvé drôle le sens de Robbing Millions pour une musique qui n’est pas spécialement vendeuse. Pour les millions… Si ça c’est notre but, on va jamais y arriver! »
Ne jamais y arriver et sans cesse y retourner, ce pourrait être le destin de leur voyage musical, revendiquant et portant haut les couleurs des mondes parallèles dans lesquels les genres tels que nous les connaissons n’ont pas plus de sens que l’usure de nos chaussettes rapportent du chemin parcouru.
Un décor embarqué dans des corps absents à l’appel de la norme.
Au début on est pris par la vague sans comprendre d’où elle vient, alors que son take-off est d’une déroutante facilité. Ça pousse fort et loin, sans le moindre déséquilibre vers une chute pénible. Puis petit à petit, à force de revenir faire des sessions de surf musical sur ce spot secret, on commence à mieux en comprendre les feintes et les courants. On tient alors d’autant mieux sur la planche qu’elle en devient familière. Spot secret ? Mais c’est quoi Robbing Millions ?
On pense à des Américains barrés genre Devo 3.0. Leur syncrétisme musical est celui d’une génération qui digère toutes les références pour écrire sur une portée blanche une musique qui n’avance jamais à l’aveuglette.
Richesse sonore, évidente complexité des harmoniques, oxymore pop psychédélique, Robbin Millions est une révélation.
Lucien Fraipont, Gaspard Ryelandt, Leo Campbell, Jakob Warmenbol, Daniel Pleikolm, ont une trentaine d’années de vie terrestre.
Gaspard Ryelandt est aussi dessinateur de talent qui déploie sur le papier comme une extension de l’univers du groupe. Mais attention pas de chemin tout tracé d’avance. Comme pour la musique du groupe, c’est en partant d’une rareté personnelle qu’on touche à l’universel bien plus que dans la démarche inverse.
Corrélations entre les sens et les activités psychiques, dans un contexte artistique, la musique du groupe peut bien être qualifié de psychédélique. En 1956, dans un échange de lettres avec le psychiatre Humphry Osmond, alors qu’ils cherchaient tous les deux comment désigner ces substances dont ils découvraient les effets sur la connaissance du psychisme, Huxley, en réponse à une proposition d’Osmond qu’il n’avait pas comprise, avait, à partir de deux mots grecs anciens (le verbe phaneroein et le nom thymos), forgé le terme phanérothyme qui peut se traduire par « qui rend l’âme visible, manifeste ».
Huxley avait conclu sa lettre par ces vers :
To make this trivial world sublime,
Take a half a gramme of phanerothyme.
(Pour rendre ce monde trivial sublime,
Prenez un demi-gramme de phanérothyme.)
Auxquels Osmond avait répliqué par ceux-ci :
To fathom Hell or soar angelic,
Just take a pinch of psychedelic.
(Pour comprendre l’enfer ou surgir angélique,
Prenez juste une pincée de psychédélique.)
La musique de Robbing Millions est un peu de tout ça à la fois. Personne mieux que les deux piliers du groupe pour en parler. Entretien auquel a bien voulu se prêter Lucien en répondant par écrit à toutes mes questions (Gaspard pour une).
Un grand merci à eux.
Comment s’est formé le groupe ?
Le jour où j’ai pigé comment marchait Garage Band je pense (rires). Je sortais d’une période où j’avais fait beaucoup de jazz, joué dans différents groupes d’autres gens et j’avais mon groupe de jazz pour lequel j’écrivais. En vacances dans le sud de la France (comme tout belge qui se respecte) j’ai commencé à enregistrer quelques morceaux sans aucune limite stylistique ou désir de satisfaire qui que ce soit, je me suis mis à chanter dans le micro de l’ordi et à chipoter avec les effets, synthés et boites à rythmes intégrées, et j’ai trouvé ça très amusant. Le résultat était très pop et les proches à qui j’ai fait écouter m’ont tous encouragé à en faire quelque chose. J’ai vite eu l’idée de demander à Gaspard de chanter les parties de voix parce que c’est mon plus vieux pote et qu’on a eu notre premier groupe ensemble de nos 13 à 17 ans dans lequel il chantait et pour lequel j’écrivais les morceaux. Il a mis du temps à venir chez moi enregistrer donc je fais pas mal de voix à sa place parce que je ne pouvais pas attendre, ça m’a plu de chanter et on a gardé l’idée de chanter à deux. Comme une voix doublée, un corps à deux têtes.
Puis j’ai vite essayé de trouver des concerts, et j’ai appelé des amis avec qui je venais de commencer un groupe mort né de jazz expérimental pour pouvoir jouer les morceaux en live. Depuis le groupe a connu quelques changements de personnel.
Comment vous avez appris la musique, et quels sont vos influences ou filiation ?
J’ai commencé par la guitare classique avec un prof qui me faisait jouer pas mal de pièces pas trop compliquées de compositeurs sud américains, puis j’ai suivi des cours de Blues, Rock qui ont vite dérivé vers le Jazz. J’avais un groupe de rock avec Gaspard aux influences « led zep radioheadisante » bien teenage. Le père du batteur organisait des stages de jazz, où on est allé, et on s’est bien marré. Après ça je suis allé au conservatoire de jazz et Gaspard a étudié la bande dessinée.
Jakob le batteur est assez actif dans le mileu impro/jazz, notre claviériste actuel Daniel a ouvert un studio à Molenbeek et Léo notre bassiste est batteur, bidouilleur dans différents groupes punk/expérimentaux.
Quand vous vous êtes rencontrés comment avez vous construit le projet ?
J’ai rencontré Gaspard à l’école quand on avait 8, 9 ans. On est devenu amis quand on a remarqué qu’on avait tous les deux des t-shirts Nirvana.
J’ai rencontré les autres dans le milieu de la musique à Bruxelles où tu te retrouves très vite à croiser et recroiser les gens avec les mêmes affinités musicales.
Comment se passe la création des morceaux ?
Je réalise des maquettes où j’enregistre toutes les parties. Une fois que le morceau est bien formé je l’envoie aux autres et ils font des suggestions que j’essaie d’appliquer (ou pas si je suis satisfait comme ça (rires))
Il y a un univers visuel bien particulier dans vos clips, qui va si bien avec la musique, qu’elle en devient encore plus intrigante. Qu’est ce que vous mettez de votre vie personnelle dans vos chansons ?
Les clips (sauf In the No air) sont des interprétations libres de notre musique par Marine Dricot[1], qui a greffé son univers sur nos morceaux.
Ici avec le morceau Dinausaur :
Le dernier clip « In The No Air » est de notre ami Léopold Pasquier[2] avec qui on a discuté du concept avant et au fur et à mesure de sa conception. L’idée était qu’on soit un duo de rock stars déchues à la dérive dans un Bruxelles nocturne victime de la crise et de l’austérité.
Les chansons ont des thèmes divers qui évoquent des sensations, des anecdotes de la vie quotidienne, des angoisses et obsessions et puis des choses totalement non réfléchies, très instinctives. Un texte part généralement d’un assemblage de mots qui collent bien avec une mélodie, ça n’a parfois aucun sens mais ça fonctionne avec la musique; c’est souvent assez pour me satisfaire. Les voix sont souvent teintées d’effets, ne sont pas forcément toujours mises très en avant et sont parfois utilisées comme un autre instrument du groupe qui joue une mélodie. A certains moments il faut vraiment avoir le texte sous les yeux pour comprendre ce qu’on raconte je pense.
Comment présenteriez vous votre musique à d’autres musiciens avec lesquels vous devriez enregistrer ?
De la Benelux prog pop psychédélique humble.
Comment vous la représenteriez à des gens qui ne connaissent rien à la musique (mais peuvent l’apprécier !) ?
Lucien : un dim sum dont tu as du mal à déterminer les ingrédients mais que t’as envie de rebouter parce qu’il t’a titillé les papilles.
Gaspard: un parc d’attraction auditif.
Que cherchez-vous à faire à travers votre musique ?
Déjà le simple fait de produire quelque chose de personnel, de le réécouter et d’en être fier est une satisfaction en soi. Juste le processus de ‘faire’ et de se dire ‘ah ça vient de moi ça ?’, c’est vraiment gratifiant et jouissif, addictif même. T’apprends des trucs sur toi-même aussi en faisant ça. Puis quand un truc me plaît je le fais écouter aux autres membres du groupe, à ma copine et je continue à affiner le morceau.
Il n’y a pas vraiment de but ou d’objectif supérieur à la démarche mis à part essayer de me faire plaisir, d’avoir la sensation d’avancer et de construire quelque chose et d’essayer de refléter une part de qui je suis à travers la musique. Puis jouer la musique avec le groupe et devant d’autres gens, y a un truc très excitant à ça.
Un « truc » que le groupe démontre aussi brillamment sur scène que dans leurs albums. Preuve s’il en faut, de la puissance de ce jeune combo qui ravive une musique sinon bien terne à coté.
En concert : 17.05 Festival Les Nuits Botanique – Cirque Royal Bruxelles 20.05 Seneffe Festival 2017 – Seneffe 10.06 SWTC Festival- de Singel Internationale Kunstcampus- Antwerp 14.07 Dour Festival.
Un album en préparation, avec l’aide de Shags Chamberlain à la production (Ariel Pink, Mac De Marco, Drugdealer, …) date de sortie encore non déterminée.
Poursuivre :
https://www.facebook.com/RobbingMillions/
https://robbingmillions.bandcamp.com/
Le dernier album de Robbing Millions :
http://musique.fnac.com/a9936768/Robbing-Millions-Robbing-Millions-CD-album
[1] http://www.marinedricot.com/
[2] http://leopold.ultra-book.com/
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