En pop music comme tant bien d’autres domaines, artistiques ou non, force est de constater qu’il n’y a désormais plus rien à inventer et qu’il est désormais plus question que de s’agiter dans un périmètre certes vaste mais surtout clos, sinon à faire bouger les lignes pour les plus téméraires. C’est d’ailleurs un genre à la mode, l’ère des mélanges plus ou moins digestes où l’intention vaut l’action et où le postulat théorique vaut plus que les lourdeurs d’estomac. Chaque époque a sa contradiction, chaque époque a son contre-exemple. Ainsi aujourd’hui (enfin depuis plusieurs mois et certains succès à la Girls et The XX, The Drums ou Warpaint plus récemment) la moindre rythmique binaire, la moindre mélodie sans tiroirs, le moindre refrain propret passe alors pour rafraichissant. Et tant pis pour le défrichage. Et tant pis pour l’innovation. Souvenons-nous d’André Agassi lorsqu’il débarqua à Wimbledon tout de blanc immaculé alors que la mode, la sienne, était alors au short en jean et aux couleurs criardes fluo, le public s’en émerveilla, oubliant simplement qu’il ne faisait là que perpétuer une tradition séculaire et non porter haut l’étendard de la témérité aventureuse.
Partant de ce constat (et non jugement), il nous reste alors à savourer à plein les bons disques voire les très bons et tant pis si 2010 restera sans doute comme une année de grandes chansons à défaut de grands albums. Oui que cela ne nous empêche de prendre le bon plaisir là où il se trouve, sur ce second album du trio (qui a perdu hélas une plume tout récemment en devenant duo) américain des School of Seven bells par exemple. Pour ceux qui ignorent tout du groupe (auteur d’un premier album remarqué l’an passé, album au superbe artwork soit-dit en passant, tout comme ce disque-ci) disons qu’il s’agit là d’une pop électronique qui oscille entre torpeur New Wave, futilité pop et guitare Shoegaze (le revival du moment), une musique qu’on qualifierait dans un monde idéal de grand public tant les ambiances entre romantisme et mélancolique, chichoterie et minauderie sont susceptibles de faire plier la moindre tête de gondole.
Cette pop sophistiquée se compose de deux couches : l’arrière-plan tout en grandiloquence et les premières lignes qui brillent, elles, par leur modestie. Là-bas, derrière, ce sont des claviers lustrés, propres sur eux, lumineux, brillants au sens premier du terme, une pâte sonore riche en couleurs et saveurs. Plus près au-devant c’est une voix appliquée mais sans faire pour autant d’étincelle, même si les deux voix mêlées (chanteuses accessoirement sœurs jumelles) font des merveilles quand elles se répondent l’une à l’autre, leurs harmonies étant le point fort du groupe.
Sur les 10 chansons de l’album (toutes assez longues pourtant, entre 4’’30 et 6’’30) on cherche vaguement un refrain, le groupe déroulant une même pelote ou presque au fil des chansons qui semblent le plus souvent ne faire qu’une (c’est surtout frappant pour les premiers titres du disque). School of seven bells c’est le plus souvent une idée par chanson, plutôt une bonne d’ailleurs, l’ensemble donnant l’impression d’un roulis compresseur, une lévitation vocale qui rebondit sur des synthés élégants et appliqués, une ambiance de pop froide et plastiquement superbe. On pense à ces photos de top-model symbolisant une beauté presque parfaite, figée aussi, le papier glacé renforçant plus encore le distance, l’impossibilité de s’émouvoir, juste se prendre ça en pleine gueule.
Mais n’allons pas non plus trop loin dans le tressage de louanges. La seconde partie du disque s’avère en effet décevante, en particulier le délicat passage de la 6è piste Joviann, un mix peu ragoutant entre le Peter Gabriel époque So et les Banarama, à la 7è Camarilla (les titres déjà…) plutôt poussive. On a l’impression que le groupe a ralenti le tempo (pourtant peu échevelé jusque là) sur la fin pour tâter de la profondeur et de l’émotion mais rate pour le moins son coup. Deux idées par chanson c’est bien oui mais pas toujours et il se casse ici un tantinet la figure.
Au final le disque s’appréhende toutefois comme à moitié plein plutôt que pour moitié vide. Les School of seven bells ont pris leur ticket pour ce qui semble être le concours ouvert cette année, à savoir réussir à faire fusionner de manière optimale la musique de Siouxsie & The Banshees et celle de Kim Wilde, la flamboyante New Wave mélancolique et Banarama, le trio américain n’est d’ailleurs pas le plus mal placé pour revenir en seconde semaine. Qu’est ce disque sinon celui d’un band next door comme il en existe des dizaines, un groupe cependant un poil plus élégant (ç a oui) et doué (aussi oui) que la moyenne, un groupe qui fait de ce Disconnect from Desire une réussite à défaut d’un sommet, cela dit les sommets sont rares cette année.