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09
Mai
2012
Sébastien Tellier – My God is blue
My God is blue, le nouvel album de Sébastien Tellier s’inscrit dans la continuité musicale de Sexuality le précédent album. C’est là une première dans une discographie déjà riche de quatre albums studio qui développaient jusqu’ici tous un univers précis tant conceptuellement (la famille, la politique, le sexe, la spiritualité ici) que musicalement (l’épure instrumentale du premier, le caractère éclaté du second, l’électro-italo-disco-pop du précédent). Non que ce My God is blue suive un chemin pareillement electro-pop que le précédent, simplement que la transition musicale est ici plus fine qu’auparavant.
Une envie peut-être pour Tellier de ne pas trop perdre le public gagné avec Sexuality, l’album de la percée (relative) auprès du grand public via un personnage haut en couleurs fait par/pour les médias[1] et un album musicalement très variétés même si davantage lié à quelques mélodies sucrées voire kitsch des années 80 qu’autre chose. Tellier s’est ainsi retrouvé à vivre à son échelle une Katerinisation du nom donné à ce moment d’une carrière où un artiste se révèle au public en lâchant les dernières chaines de retenue et de pudeur via des chansons accessibles et la « création » d’un personnage singulier et divertissant auparavant simplement latent. Ayant connu les joies du succès avec le précédent disque, Tellier propose aujourd’hui avec My God is blue un nouvel angle d’approche de ce personnage « larger than life », qu’il ne cessera sans doute désormais plus jamais d’être.
Les quelques mots qui introduisaient la chronique de Sexuality sont toujours aujourd’hui d’actualité, pardonnez l’autocitation :
« Sébastien Tellier a toujours été un musicien farfadet un peu barré, hanté par l’idée du « Larger than life » et l’envie d’aller bien au-delà de la simple maîtrise des instruments et des arrangement pour insuffler forme, vie et concept à sa musique. »
Projet plus que jamais en cours ici même s’il faut dire que le personnage (et sa musique) agace autant sinon plus qu’il flatte l’oreille. Un sérieux clivage d’autant que l’adhésion ou le rejet à son univers est le plus souvent radical : l’adoration béate s’oppose à l’envie de meurtre. L’album s’appréhende comme une ode à la spiritualité, à l’utopie collective non liée à un grand Tout mais au contraire à un conglomérat, une communauté en marge et unie par ce grand dessein de « changer la vie, maintenant ». Inutile de gloser plus encore sur ce concept qui ne passera sans doute pas l’automne pour se concentrer sur les douze chansons qui composent l’album.
« Pepito bleu » lance l’écoute en associant une mélodie à des chœurs en apesanteur, le tout sur fond de quatrain-chagrin en guise de « texte », une volonté peut-être de susciter de suite l’adhésion (ou le rejet pur) au projet en balançant sur un synthé paresseux ce texte où il est question de « s’asseoir décoré de pépitos bleus » j’t’en foutrais moi. L’incantation fait son effet en tous les cas et permet de se délecter à sa suite d’ambiances souvent propres à la rêverie et aux bras qui virevoltent comme au ralenti dans les airs. C’est ainsi le cas de « Colour of your mind », de l’instrumental « Draw your world », du sublime « Magical Hurricane » entre acoustique planant et rêverie synthétique, sans doute le morceau qui perd le plus à l’exercice du chant de notre barbu d’autant que c’était là sans doute le plus beau du disque.
On retrouve ces mêmes ambiances vaporeuses dans quelques titres qui convoquent toutefois bien plus le plaisir des sens terrestres que celui de la communion céleste. L’éponyme par exemple, sorte de slow à l’ancienne (comprendre séducteur fatal de l’ère disco) en mode latin-lover, « Mayday » également tendance variété des plages et somnolence d’après-déjeuner (peut-être le morceau le plus proche de Sexuality), deux réussites. On rajoutera à ce package « Sedulous », plus Christophe que jamais et là-aussi pleinement réussi.
De l’autre côté du miroir le propos de Tellier est de flirter via une saine arrogance (tout sauf une inconscience), avec les limites du bon goût ou du moins supposé tel. « Russians attractions » en premier lieu, entre cordes synthétique pêchues, chœur menaçant et break de guitare à la Marillion fait très fort côté chantilly. Voilà sans nul doute un titre à ne surtout pas mettre en avant quand il s’agit de convaincre les sceptiques des vertus de cet album ! Dans une veine sensiblement plus calme, la ballade à violons « My poseidon » en est la parfaite continuité. Ajoutons à ce nourrain grassement arrangé « Against the law » (ou la sensation d’écouter un collage de toutes les chutes de studio non utilisées) et surtout le « Yes it’s possible » final avec son orgue du Captaine Nemo. L’irrésistible disco « Cochon ville », le « Sexual Sportwear » de l’album[2], servant parfaitement de contrepoint à ses deux bornes.
Quelques mots sur le gros point noir du disque, la voix de notre barbu. Rendons certes grâce au sieur Tellier d’éviter par trop le vocoder et autres phychotropes émancipatoires de la gorge mais avouons aussi que le bémol est de taille de l’entendre chanter avec paresse d’un bout à l’autre du disque, cela est d’autant plus pénalisant qu’il avait su jusque maintenant se tirer avec malice de cet écueil. Tant pis.
Ce My God is blue joue peut-être plus au final sur l’adhésion globale au projet qu’au plaisir pur à l’écoute de chacune de ses composantes. Il manque au disque un morceau comme « La ritournelle » ou bien « L’amour et la violence », des perles grises ou noires qui donnaient une substance et une émotion certaines aux derniers albums. Il serait toutefois injuste d’évacuer ce disque avec nonchalance voire mépris. Tellier signe ici un digne pendant à Sexuality sans toutefois l’égaler, il reste en tous les cas un personnage attachant avec une musique certes clivante et propre à la stigmatisation mais finalement cohérente, plaisante, apaisée et juste, comprendre à sa place.
On pense par moment au projet solo de Yann Destal, le chanteur du groupe français Mojo (le tube « Lady ») qui conjuguait lui-aussi une emphase musicale décomplexée avec un art certain du songwriting, on pense à du Air (un peu, surtout sur « Magical Hurricane »), à du Sparks (un peu aussi, l’orgue de « Yes it’s possible » surtout) on pense plus bizarrement et pour l’esprit au dénommé Jacky Chalard, l’auteur de « Superman supercool » dont le titre démasquerait avec pertinence toute la posture de Tellier, lui qui se construit un personnage non pour (seulement) faire le beau dans les médias mais simplement pour la vie, sa vie, entendant rendre soluble dans son quotidien tous les éléments glanés ici et là (la coolitude de Christophe, l’élégance, le personnage plus grand que la vie) en mode papier glacé, fantasmé par un personnage, une personne dont Guy Bedos pourrait dire qu’il est lui-aussi Inconsolable et gai.