Alors qu’il fête cette année ces trente ans d’activité discographique, Nikki Sixx, l’âme de Mötley Crüe a semble-t-il trouvé le bon filon carriériste entre des tournées jackpot de son groupe de toujours débutant à la fin du printemps pour se terminer à la fin de l’été et un album composé et enregistré à la morte saison avec son autre projet Sixx A.M.
Pour ceux qui l’ignorent, Sixx AM est un trio constitué outre Sixx du musicien et producteur (Papa Roach, Scorpions mais aussi Alanis Morissette) James Michael et du guitariste Dj Ashba actuellement dans Guns ‘n Roses. Voici l’heure de la seconde levée pour le trio après un premier album en forme de brillant exercice de style à savoir la bande originale du livre de Nikki Sixx du même nom, Heroin diaries, en fait l’édition de son journal intime des années Dope, celles du Sex & Drugs & More Drugs & Stardom & rock’n’roll. Heroin diaries, l’album, était un carrousel funèbre sur lequel Nikki Sixx expurgeait ses démons toxicomanes, une sorte de grand huit musical épousant à merveille les hauts et les bas vécus par notre trublion hirsute du temps du sapin de Noël décoré de seringues usagées et d’un réveillon passé nu sur le canapé avec un menu McDo en guise de repas festif.
This is gonna hurt, titre de ce second disque, est hélas bien loin d’égaler en intensité et en musicalité son prédécesseur. Non pas que le propos soit globalement de piètre qualité (c’est déjà ça), simplement qu’un seul et même fil musical est la plupart du temps déroulé là où Heroin Diaries sentait bon le patchwork. Ce fil c’est un gros rock fiévreux, puissant mais aussi moderne (du rock « typed » ?), un rock typiquement américain aussi, un rock déjà présent sur le premier album mais au milieu d’autres textures, un genre omniprésent ici.
Ainsi le titre éponyme qui ouvre le disque avec son riff en béton et son énorme refrain, ainsi « Lies of the beautiful people » qui le suit, premier single qui épouse la même ambiance avec presque autant de réussite en particulier avec un refrain qui possède en efficacité ce qu’il n’a pas en originalité. Ainsi « Are you with me », troisième titre et troisième gros rock même si son intro à la Nickelback tempère l’explosion du refrain (décidément), un pétard mouillé cette fois cependant tant l’aspect mille fois entendu du propos lasse très vite. Ce n’est pas « Live forever », la piste quatre, qui va diversifier l’objet malgré par ailleurs un très bon refrain, ce n’est pas non plus le sixième titre « Deadliwood » inutilement gonflé aux hormones ou encore le septième « Help is on the way » qui semble là pour faire le nombre. Vous l’avez compris, This is gonna hurt se veut avant tout in your face, carré, droit dans ses bottes impeccablement cirées, bourrin comme il faut du coté des guitares. Cet univers alterne le bon et le mauvais, sans jamais ou presque que n’apparaissent quelques éléments novateurs ou à défaut singuliers, on est là dans le basique de qualité pourrait-on dire.
Caractère commun avec le premier album, beaucoup de références se font entendre. Ce n’était pas un problème sur Heroin Diaries car le mélange fonctionnait bien, les titres étaient la preuve que la somme des éléments valait plus que chacun d’eux pris séparément. Ca l’est un peu plus ici tant le propos semble s’être limité à ce « à la manière de ». On a parlé de Nickelback, on pourrait aussi et surtout évoquer la manière de chanter de Matthew Bellamy de Muse, cette manière d’onduler le la voix avant le refrain par exemple, on pourrait aussi citer le U2 d’aujourd’hui dans sa veine rock au fil d’une paire d’intros plus ou moins atmosphérique. J’entends déjà les laudateurs de l’album vociférer qu’un album doit s’appréhender comme un univers en soi, débarrassé des contingences chronologiques et contextuelles, délesté des comparaisons avec le travail passé de ses auteurs, l’album comme un grand Tout etc.
Certes.
Mais bon.
On peut arguer a contrario que cet album de Sixx AM est en soi une parfaite contre-publicité à pareil dogme. Il est douloureux en effet de voir un groupe capable de produire en dépit de mille éléments inspirants une musique unique et singulière sur son premier album et sortir la grosse armada interchangeable sur le second. On appelle ça dans le jargon une mine anti-personnel, une mine calque, une grenade à plâtre. Les deux albums veillaient pareillement à l’efficacité, Heroin Diaries simplement plus profond, le fruit d’un travail à trois très loin de la lumière du dehors, un véritable rouleau compresseur d’émotions. This is gonna hurt s’avère lui un roulis compresseur, un manuel de savoir-faire et d’efficience aussi émouvant le plus souvent que la lecture d’un curriculum-vitae (oui Nikki, tu es à la page rassure-toi, ta musique est correctement updatée). On aimait sur le premier disque la voix de James Michael et ses intonations tantôt dociles tantôt exaltées, on l’écoute ici débiter le même fil vocal, ce même grain vociférant (le plus souvent) et viril. Un grain de qualité certes mais monocorde, unidimensionnel. Dommage.
Constat sévère il est vrai pour un disque pas désagréable, l’attente était sans doute trop grande, les espoirs trop importants, une bonne leçon. Aucune grande et belle chanson sur ce disque (elles se comptaient sur les doigts d’une main, voire deux sur le premier) malgré de bons moments.
Citons-les allez. Le midtempo « Sure feels right » ainsi que son presque calque en mode ballade musclée (« Smile »), le U2esque « Oh my god » et son refrain tout distordu (il devait y avoir des gages en studio pour qui composait un refrain non braillard et à fond la pédale d’effet). La meilleure chanson de l’album est peut-être « Goodbye my friends », sans doute parce qu’elle évoque en creux « Life after death » figurant sur le premier (en gros la même matrice mélodique sans les grelots à la Danny Elfman). Cette chanson n’est pas le moindre des paradoxes du disque, la meilleure du lot alors que c’est sans doute la plus ouvertement inspirée par Muse (la ligne de chant, le refrain, la musique même). N’oublions pas les deux premiers titres tout en rock couillu fracassants et marquants de même que le dernier titre « Skin », ravissante épure piano/voix beauté dans ses larges parts (belle orchestration ensuite) même si salopée par des paroles disqualifiantes sur le thème du Freak. Oh oui les gens ne savent pas voir la beauté de ces personnes différentes derrière leur peau, n’y voyant que les cicatrices alors qu’il y a derrière un gros cœur en or qui bat oh que oui. Mouais.
Un mot enfin sur Nikki Sixx. Car Sixx il y a, car (forcément) concept il y a. This is gonna hurt est aussi un recueil de photographies autour du thème du freak. Sixx a photographié en studio quelques personnes « différentes » avant de retravailler le tout pour développer un univers visuel assez proche de ce qu’on connait de lui, cette sorte de poésie de bitume, ce mélange de glamour et de rue. Les paroles du dernier titre « Skin » évoque en particulier ce concept.
A la réflexion il n’est pas impossible que le concept défini ici se soit au fil du travail de compo et d’enregistrement moins inspirant, nécessitant ainsi la solution de facilité visant à déballer la grosse armada sonique. Qu’importe finalement l’intention, il reste l’action (mes excuses à Emmanuel Kant), This is gonna hurt est un cru décevant pour qui aimait la diversité inspirée du premier jet, les fans de guitares lustrées et de refrains de stade y trouveront sans doute leur compte. Une question de pointage de curseur finalement.