Retour sur la sortie récente du 4ieme album de Perio, successeur accompli de « The Great Divide » (2007). Un concentré de pop habité qui prend le temps de déployer un imaginaire musical richement ouvragé. Classique presque instantané.
Il y a des albums qui arrivent comme ça, sans crier gare. D’emblée, ils s’imposent par la qualité de leurs écritures. Les rares opus de Perio sont de cette écorce-là : une assise de guitare acoustique ; une rythmique qui peut s’embraser à tout instant (le véloce « Crust and Dirt », avec ses glissades d’accords et sa basse soutenue) ; et une manière de filer les voix, par dessus les intervalles musicaux et entre les brisures des rythmes. Ce dernier album, concis mais nourrissant, est comme une suite de huit petits récits, quasi cinématographiques. Un véritable concentré mélodique dans une épopée miniature. Des récits qui passent autant par les inflexions des lignes de chant, que par les perspectives délayées des horizons musicaux.
Eric Deleporte/Perio (photographie d’Alexandra Lebon)
On serait bien mal inspiré de catégoriser à la hâte la musique de Perio : du folk-rock ? intimiste, atmosphérique ? un alliage de lignes familières et d’évolutions imprévues ? des confidences de « crooner » folk, tignasse échevelée ? La manière avec laquelle Eric Deleporte (auteur-compositeur et « meneur » de jeu dans Perio) peint le décor des morceaux, et en développe les récits contournés, peut parfois confondre. Les mélophages les plus pressés, séduits par l’accessibilité pop de l’album mais pas tout à fait acquis, qualifieront cette musique de juste « aimable » ou de « sympathique ». Les autres, intrigués, y reviendront continûment pour apprécier une originalité et une consistance apparentes, mais suffisamment subtiles dans le feuilletage, pour qu’elles ne se découvrent entières qu’une fois le disque répété. Car l’évidence des morceaux (le sémillant « Seeds ») et la quiétude apparente du ton (de « Woman Uncalled » jusqu’aux vocaux confidents de « W »), recouvrent souvent un travail minutieux de composition et de mixage qui donne toute leur ampleur aux huit titres de l’album.
L’un des grands plaisirs que procure l’écoute de ce 30 minutes entêtant, vient justement de ce pas de côté : une demi-heure à rebrousse-temps voire rebrousse-styles, qui ne sacrifie en rien à l’actualité ou à l’urgence du prêt à plaire. Perio s’offre le luxe de nous « impressionner », mais patiemment, comme une infusion, sans injonctions forcenées ni pirouettes, à sa propre vitesse d’incandescence. Ces trente minutes sont un appel à la rêverie, dans un à-côté musical quand même assez ombragé, qui passe par un éventail de climats enchaînés. Elles sont aussi une célébration, plus qu’appréciable à l’heure du grand démantèlement numérique, de l’album en tant que format, dans la versatilité toute tenue de son propos. Quelque chose qui s’apprécie autant dans les détails que dans la durée (aussi courte soit-elle), comme un petit tableau en forme de panorama défilant.
image du clip de « I Got Moonburnt » – réalisation et graphisme : Christophe Galleron
Pourtant, il ne faudrait pas souligner démesurément les dimensions climatique et mélancolique des titres. Il y a toujours eu du Rock et des grondements électriques chez Perio. Le trio guitare-basse-batterie (Eric Deleporte/Christian Quermalet/Stephane Milochevitch) nous le rappelle occasionnellement avec deux formidables morceaux, des « hits » qui savent frapper sans cogner les cervelles. Ce sont « Crust & Dirt », et « Whoopadoop », avec ses restes de rockabilly et ses « pom-pom-pidou » doo-whop. L’impact des deux titres est décuplé par le séquençage élégant de l’album. Les chansons de Perio ont souvent une patine un peu décalée et hors du temps, comme celle de « Whoopadoop », où l’on entend glisser en fond les réminiscences musicales. Mais le geste est joueur, et la formulation jamais désuète. Et il ne s’agit pas de citations affichées : elles sont malaxées (comme le dos de qui l’on sait) à l’échelle de chaque morceau, sans être univoques. Il y a donc un peu de « colorfield painting » chez Perio ; un art du dégradé et de la transition permanente, toujours en poursuite d’un ailleurs, entre deux, trois, ou quatre couleurs. On y voit un peu d’orgue comme dans le très beau « I Got Moonburnt » avec ses arpèges-harmoniques lunaires, ou encore des restes de boite à rythmes convoqués dans « Woman Uncalled » ou « See It Coming ». Ce titre, qui conclue l’album dans un bourdon synthétique et vocal, est un salut au blanc, dans un semblant d’éloignement, doux et affecté. Son suspens donne l’envie d’un deuxième tour de disque. Aimable boucle d’une boucle très aimante.
L’autre plaisir du nouveau Perio, outre sa fausse « légèreté » qui est une véritable qualité, vient de l’impression de conversation des musiciens, une entente permanente perceptible pour l’auditeur, qui est le signe d’un bon dosage entre le travail en studio et le jeu du « groupe » (principalement le duo Deleporte-Quermalet auquel se greffent divers contributeurs). Comme dans « The Great Divide » (précédent album de Perio dont celui-ci est le très digne descendant), la présence de Christian Quermalet est palpable. L’ex Married Monk se met au service de l’écriture d’Eric Deleporte, de sa singularité spécifique. On sent entre Perio et les Married Monk, une évidente communauté d’esprit. Comme une école partagée : celle fugitive de la non-école et des horizons buissonniers, « indépendants » (sans trompettes) de « l’indépendance » rock. Un art du canevas qui ignore les styles imposés, tout en malléabilité, en intelligence ductile, en broderie sincère ou amusée.
Enfin, le dernier Perio est un bel objet disque, puisque sorti précisément chez Objet Disque (le label artisanal de Rémy Poncet aka Chevalrex), à l’habillage élémentaire mais saisissant, signé-designé par Brest Brest Brest. Pochette carton, sticker jaune de la tracklist en épaisses lettres noires, et une découpe circulaire centrale, qui laisse entrevoir le CD tel un vinyle. On y lit le titre de l’album amplifié en sillons concentriques sur fond blanc, comme l’écho ironique d’un slogan mercantile, répété à satiété. Un porte-voix abstrait, tout de lettres frappées, pour nous alerter que ces trente minutes ensorceleuses risquent de nous rendre totalement captifs. Gare ! donc, à tous ceux qui auraient l’audace de sortir cet « objet » du carton…
Perio – 30 minutes with (chez Objet disque depuis juin 2015)
(le « clip » de « I got Moonburnt » est à découvrir en vidéo en cliquant sur le lien que voici)
L’occasion de rappeler que Perio se produira en concert le jeudi 22 octobre 2015, au Canal 93 à Bobigny, en compagnie de très beau monde : Françoiz Breut, Michel Cloup duo (avec Julien Ruffié à la batterie), et le « Bruit Noir » d’un autre duo cordes-fûts, Pascal Bouaziz et Michel Pires, échappé de Mendelson. Les absents ne seront pas excusés.
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