2e Partie : De l’origine de la coïncidence des opposés.
Le bateau, les cales remplies d’esclaves, travers dans l’océan, pointe vers le nouveau monde et laisse derrière lui une houache qui disparait dans le temps. Une nouvelle vague efface l’écume de la dernière, et personne ne voit la différence, obsédé par l’horizon.
« Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », paru en 1776, est un ouvrage important. Son auteur, Adam Smith, philosophe et économiste écossais, développe ici une « recherche sur la nature et les causes qui ont perfectionné les facultés productives du travail, et de l’ordre suivant lequel ses produits se distribuent naturellement dans les différentes classes du peuple », tel qu’il sous titre lui-même.
Ce livre demeure aujourd’hui encore une base du capitalisme libéral. Les titres des différents chapitres sont d’ailleurs très clairs, « De la division du travail », « De l’origine et de l’usage de la monnaie », « Des parties constituantes du prix des marchandises », « Des profits du capital », tout le crédo du nouveau dogme religieux qui est en passe de conquérir le monde. La pensée d’Adam Smith est puissante et si on s’y réfère encore, c’est qu’elle repose sur analyse brillante des mécanismes de la société Anglaise des Lumières. Brillante mais qui prend bien soin d’écarter de son champ de vision un phénomène pourtant fondamental dans l’expansion de la richesse des nations d’alors. Mais peut être vaudrait-il mieux écrire, dans « l’extorsion de la richesse des nations ». Dans toute l’œuvre de Smith, dans tous les débats qui vont suivre et animer sa pensée, pas le moindre mot, la moindre considération pour un phénomène qui est alors au cœur même de cette expansion, cette explosion de richesses : le commerce triangulaire.
L’esclavage et le commerce triangulaire sont les fondations économiques du nouveau monde. Alors on peut creuser des galeries profondes pour enterrer les déchets toxiques de l’histoire, l’onde gravitationnelle du phénomène emporte avec elle son principe d’équivalence : pour une note blanche, il faut toujours deux noires [1].
« La forme c’est le fond qui refait la surface »
Au commencement il n’y a qu’un point. Une note minuscule si dense, que le diable en rit encore d’avoir défié Dieu de faire un objet qu’il ne puisse soulever, tellement il serait lourd. Défier le divin, c’est finir au divan (freudien ou lacanien). Ainsi confortablement assis, le malin put jouir du souffle sans précédent de cette note unique, explosée par la violence de la double contrainte : rendre la toute puissance impossible par sa toute puissance même.
« Si l’esclavage a été le lot de toutes les sociétés humaines à un moment ou à un autre de leur histoire, aucun continent n’a connu, sur un temps aussi long (VIIe-XIXe siècle), une saignée aussi continue et aussi systématique que le continent Africain. Car ce qui spécifie l’Afrique, c’est, plus que l’esclavage, la traite des esclaves, c’est-à-dire le commerce régulier des êtres humains réduits en esclavage pour être vendus, l’ensemble de l’opération se déroulant au milieu d’un déploiement sans précédent de violences. » [2]
Comment de cette honte, dont est marquée l’Humanité, de se creuset immonde et impure dans lequel est organisé le sacrifice pour quelques vautours couronnés, comment est née cette exaltation de la force vitale : le Jazz ?
Jazz, Gizm, jazm, certain trouveront son origine dans l’américanisme de mot sperme. A moins que ce ne soit la déformation du mot chasse beau, figure du cake-walk, devenu jazbo. Ou encore avec le verbe jazzer utilisé en patois créole. Pour Dizzy Gillespie c’est vers le mot jasi, d’un dialecte africain qu’il faut se tourner et qui signifie vivre à un rythme accéléré, sous pression. Une dernière piste suggère que le mot vient de l’argot cajun et du nom dont sont affublées les prostituées de la Nouvelle Orléans, Jazz-Belles, en référence à la Jézabel de la Bible.
En tout cas c’est une force fusionnant ce qui est opposé sous ses doigts, transformant la boue en argile, et l’argile en musique.
On ne saura jamais comment, mais au commencement, était le JAZZ !
L’instrument classique du Blanc, devient entre les mains du Noir, l’objet d’un retour aux rythmes et mélodies d’une vie oubliée au gré de la dérive des Continents…..
Un jeu d’enfants pour les doigts du pianiste Cubain, Chucho Valdés…
La Pangée est issue de la collision de deux supers continents regroupant l’ensemble de terres émergées il y a quelques 300 M d’années. Pour la musique, la Pangée c’est le Jazz, d’où partiront toutes les musiques populaires des temps modernes, enfantées dans la joie et la douleur.
Le terme Rythm’n Blues naît officiellement en 1949 dans Billboard, pour remplacer l’étiquette utilisée jusque là de « race record », soit la musique faite par des Noirs pour les Noirs. Le champ musical que recouvre ce nouveau nom, n’a pourtant pas d’unité stylistique propre. Il est le reflet après guerre d’une Amérique en pleine transformation : économique, sociale, technique et psychologique. Pour les compagnies de disques, alors sans matière première, priorité à la clientèle blanche. Pour les Noirs, après le tampon « bons et loyaux services » c’est retour à la case Ghetto. Tout autour, radios et Juke Box prolifèrent. Les studios d’enregistrements fleurissent avec une technologie moins coûteuse, qui permet aux petites structures de se lancer. Quant à la population Noire, elle continue de charrier dans ses veines le chagrin d’un amour-paradis perdu, celui d’un enfant abandonné.
C’est de peuple qui va une nouvelle fois sublimer sa condition à travers toutes les musiques qui feront l’Histoire de notre époque. Après le Rock’n Roll, c’est la sueur des corps pendant l’amour : le Funk [3] ; les noces païennes du gospel et du rythme and blues : la Soul et ses quantiques célébrant l’amour physique et ses malheurs.
En 2008, Aaron M. Frison sort « The Adventures of Seymour Liberty ». L’artiste est difficile à cataloguer, même si on le range dans les bacs à sable NuSoul, la Nouvelle Soul.
Pourtant c’est bien dans la continuité parfaite du genre musical que son personnage va prendre vie, comme fragments (snippet) d’un Prince dans la fosse commune. Musique maestro :
En 4 albums, Coultrain va tracer le chemin de vie de son alter ego : Symour Liberty, qui est aussi le notre. Se débattant dans les subductions amoureuses de l’existence et les la(r)mes de fonds qu’elles engendrent, il nous rappelle que l’histoire de l’humanité est une histoire d’amour et son contraire. Tel les mains du chasseur entrelacées, aux doigts tatoués des deux mots à quatre lettres qui gouvernent le monde :
Seymour nait parmi les étoiles, sa vie est la poussière que celles-ci laissent dans le théâtre de notre imagination. Cette caverne platonique où se rejoue entre deux ombres l’histoire des Hommes. Avec Seymour l’histoire des Hommes, c’est une histoire d’amour.
A près avoir nagé parmi les étoiles, il tombe sur la fille de ses rêves. Plus l’amour est là, et plus le tour de vis serre…ses viscères ! Il chante dans le morceau Screw[4] « even the sky is moving, why aren’t you? It’s spinning, without you wanna make love or do you wanna screw… [5] »
Et la question se pose à nous tous les jours.
Interview
Culturopoing : – Quel est ton public ?
Aaron M. Frison : – Mon public ?…..tout ce qui m’inspire : les enfants, les chats, les ancêtres, le temps qu’il fait, yeux, lèvres, esprits….. Le monde est une scène et je joue dessus.
Culturopoing : – Où est Symour aujourd’hui ?
Aaron M. Frison : – Seymour à découvert qu’il était un eternel étranger. Le Lp qui va conclure ces aventures sortira ce printemps. Il y a rien qu’il ait que je n’ais pas, je l’ai conçu.
Culturopoing : – Où en est la culture Noire aux USA aujourd’hui ?
Aaron M. Frison : – Là où elle a toujours été, en constante évolution, encore fleurissante, allant sans reconnaissance dans sa pureté pour satisfaire moins d’esprits, d’âmes individuels, qui ne feraient pas la différence entre leur âme et un trou dans le sol…
[1] En solfège….
[2] Elikia M’Bokolo in L’Afrique Noire Histoire et Civilisations ed. Hatier-Aupelf Uref
[3] Ce que signifie le mot en argot
[4] « Vis » en anglais
[5] Screw = baiser
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Audrey Prud'Homme
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