Pour parler de cette merveille absolue il convient de revenir l’espace de quelques lignes sur « Plagiarism », album de ce détonnant duo américain sorti en 1998 dans lequel ils reprenaient leurs propres morceaux avec de nouveaux arrangements le plus souvent grandiloquents (« This town ain’t big enough for the both of us » à la mode symphonique, une version jouissive) ou tout du moins iconoclastes.
Ce disque voyait aussi la participation sur un morceau de Erasure et sur deux de Faith no more (en particulier sur une (autre) version de « This town ain’t big enough for the both of us » à la mode électrique, une version jouissive là-aussi mais je me répète non ?) ou comment en deux collaborations illustrer au mieux la profonde richesse et la grande diversité de la musique de ce groupe (à mi-chemin entre la pop synthétique de « When I’m with you » leur plus grand succès et la fureur glam de « This town ain’t big enough for the both of us » (le croiriez-vous si je vous confessais que j’adore cette chanson ?).
« Plagiarism » donc ou l’impression tenace que Ron et Russell Mael prenaient alors un virage dans leur carrière, non pas tant par un brusque changement dans la tonalité du propos que par une accélération subite sur leur chemin de traverse musical. « La pente est dure mais elle est droite » comme dirait l’autre.
Ainsi « Balls » en 2000 puis « Lil’ Beethoven » en 2002 accentuèrent ce soin particulier donné aux arrangements de plus en plus célestes à mesure que le groupe s’enfonçait dans la jungle touffue du baroque et du symphonique, le tout s’accouplant avec des principes héritées des joies de la musique répétitive à savoir des boucles s’enrichissant et s’intensifiant toutes les 16 mesures. Avec « Hello young lovers », 20ème album du groupe, le duo lâche le peu de bride qu’il lui restait dans l’ambition et la démesure et tutoie même l’espace de 40 minutes la voix des anges et la musique qui va avec.
L’album commence par « Dick Around » (et cette magnifique voix de Russel dupliquée à l’envie) pour venir battre le « Bohemian rapshody » de Queen sur son propre terrain, celui de la pop baroque et pompière (une victoire par KO à la première reprise), une guitare y venant en bout de course envoyer le morceau vers le 7è ciel musical (ou comment headbanger furtivement sur un délicieux lit de cordes). Un morceau comme un écho à « This town ain’t big enough for the both of us » (vous connaissez peut-être ?), un morceau comme on n’en fait plus, comme on en a d’ailleurs presque jamais fait, un chef d’œuvre mémorable pour autant que ce terme soit si souvent galvaudé.
On retrouve cette classe incroyable et ce bonheur parfait tout du long de ce disque au gré des « Perfume », plus classic pop que le reste du disque, « Waterproof », ou l’impression d’écouter une reprise de « Cloudbusting » de Kate Bush mais une reprise qui utiliserait l’original comme un marche pied vers le divin plutôt qu’un simple hommage policé sans oublier « Can I invade your country » et ses chœurs addictifs sur une magnifique mélodie de départ et autres « Kitty yo » avec son imparable miaulement samplé ou encore la sobriété parfaite de « The very next fight » qui illustre d’ailleurs par sa quasi-épure combien les arrangements pompiers sont ici au service des mélodies et ne viennent pas en quelque sorte cacher la misère pop en une « posture » baroque et chantillyesque.
Evidemment un disque si riche et touffu épuise et un morceau comme « Metaphor » en milieu de plages semble de trop, vous savez un peu comme dans les films de Chaplin où celui-ci court puis esquisse une trajectoire un poil trop large au moment où il doit tourner subitement, quelques pas de trop donc qui trahissent l’impatience emportée par son élan mais qui à l’arrivée sont presque sans importance puisque la course se poursuit ensuite comme si de rien n’était.
De la même manière le dernier morceau « As I Sit to Play The Organ at The Notre Dame Cathedral » (Ben voyons) nécessite une écoute quasi autarcique et détachée du reste pour en savourer la construction imparable et les strates vocales ou instrumentales posées les unes sur les autres. Un disque qui épuise mais qui s’avère pourtant inépuisable dans les imparables chansons des premières écoutes font place ensuite aux délices du déchiffrement des morceaux les moins évidents de prime abord, l’écoute suivie desdits morceaux redonnant machinalement quelque fraicheur par la suite aux pépites sus-citées.
A l’heure où Emilie Simon (tiens comme Bjork il y a quelques mois dites-donc) est amenée prochainement à se produire à Pleyel (totale crédibilité et respectabilité) on se met à vivement regretter que ce ne soit pas les Sparks qui s’y produisent tant leur musique y aurait davantage sa place que les jérémiades ampoulées de l’égérie Téléramesque pour illustrer les passerelles possibles entre musique savante et populaire.
Les Sparks, une affaire entendue aujourd’hui pour la plupart d’entre nous, du moins ceux qui connaissent ce groupe, un groupe « cool » et « sympa » dans le meilleur des cas et en un mot. Un groupe pourtant à la carrière aussi longue (début des années 70 tout de même) que riche et qui sort son meilleur album 30 ans après son séminal (copyright léo_percepied) premier album, ce qui n’est pas vraiment la règle en matière de pop music vous en conviendrez. Un groupe surtout qui propose avec ce « Hello young lovers » le fantasme absolu des amoureux de la pop grandiloquente à trompettes et des amoureux de douces mélodies salopées par des arrangements savants. Qu’on se le dise.
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