A partir de son titre phare, Silvain Vanot livre avec beaucoup de justesse et de simplicité quelques secrets sur l’homme en noir  qui ne cessera d’être hanté par cette chanson séminale, promesse écrasante en tant qu’homme et en tant que chanteur.

« Il y a deux genres de révolutionnaires : ceux qui s’opposent à ce qui est, et ceux qui, ignorant ce qui est, construisent une œuvre qui, sans qu’ils le sachent même, est révolutionnaire ». Emmanuel Bove (citation introductive à l’ouvrage).

C’est un texte court au style dépouillé mais précis qui sonne comme la chanson qui lui sert de guide : quelques accords sur des mots simples.
A revers de la biographie souvent anecdotique, Silvain Vanot propose un texte dont les courts chapitres sont autant de rendez-vous entre l’homme et sa chanson. Des moments de vie essentiels, des moments intenses et révélateurs dans lesquelles l’auteur se glisse discrètement pour sonder le mystère de l’homme en noir mais avec une pudeur à contre-courant des « biographies tabloïd » qui hantent trop souvent le rayon « Nouveautés » de nos librairies.
Des points, comme du temps suspendu, dans une ligne de vie que l’on sait chahutée. Des points qui ponctuent et structurent le texte et la vie du chanteur. Des points donc à la fois essentiels mais aussi répétitifs, cycliques, pour mieux mesurer le poids de quelques paroles presque anodines sur la vie de la star et de l’homme.

I keep a close watch on this heart of mine
I keep my eyes wide open all the time
I keep the ends out for the tie that binds
Because you’re mine, I walk the line

Je surveille de près mon coeur
Je garde, tous le temps, les yeux grands ouverts,
Je prends soin du lien qui nous unit
Puisque tu es à moi, je marche droit

On voit pointer la malédiction d’un titre trop écrasant pour laisser respirer une discographie riche en surprises, le poids d’une promesse qui bute de façon incessante contre le mythe agité du sex, drugs & rock’n roll. Sur cette vie – médicamentée, alcoolisée, parfois violente -, nous saurons finlement et heureusement peu de choses. Silvain Vanot, en musicologue érudit mais pas trop, préfère se saisir de la lente gestation du titre puis de ses multiples transformations pour mieux parler de l’homme en noir.
Des premiers enregistrements au studio Sun avec Sam Philips – qui introduira le fameux mugissement de Johnny Cash dans le titre comme guide vocal -, en passant par la version plus ou moins ratée du célèbre concert au pénitencier de Folsom et une version allemande (!!!) destinée au marché européen, on mesure l’importance d’un titre dans l’histoire d’un genre (la country, genre conservateur qui s’élève là au niveau du rock), d’un homme (la religiosité d’une promesse de bonne conduite) et d’un pays (un visage, celui du Sud, et la mythologie qui le nourrit).

Dans I walk the line, tout est simple, les mots comme le message, mais pourtant immense, mythologique. De la simplicité au mythe, du fait aux idées : c’est ce très juste parcours que ce court ouvrage décide de suivre.
Derrière la promesse du titre, on devine l’influence de la religion et Silvain Vanot égrène son texte de quelques références bienvenues sur les sources baptistes qui fondent l’homme et son œuvre.
Entre les mains de Sam Phillips – créateur d’un autre mythe : Elvis Presley -, on redécouvre les racines complexes ou s’entremêlent la country et le rock, on fantasme la rencontre improbable de Hank Snow et de Bob Dylan, imaginant Johnny Cash en élève appliqué qui prendrait des notes.
Et puis, il y a la rudesse du style Cash, celui d’un conteur-prédicateur du Sud : les approximations stylées de Luther Perkins à la guitare, beaucoup de cognac, quelques femmes dans quelques bars. Quelque chose de tellurique, qui sent la poussière et le soleil de plomb et que l’on retrouve des frères Coen (O’Brother) au film Walk the line de John Frankenheimer. On s’étonnera assez peu de découvrir que Johnny Cash fut un convaincant acteur de westerns.
En 2’30, c’est un certain visage de la culture américaine qui s’invite et qui y trouve son expression la plus brute, la plus évidente. Mais aussi une métaphysique puissante et incarnée qui interroge chaque auditeur sur sa propre vie, ses espoirs comme ses échecs, ses réussites comme ses erreurs. 2’30 qui flirtent avec l’universel (intéressante réflexion sur la disparition du « I » dans le biopic de James Mangold qui dépersonnalise une phrase que l’on pourrait croire sortir de la Bible : Walk The Line!).

Dans cet ouvrage de moins de 120 pages simple comme une chanson de 2’30 faite de quelques accords, c’est une grande partie de l’Amérique qui se tient entre nos mains, mythes et réalités confondus, au carrefour du bien et du mal. Mais aussi au carrefour de nos propres vies. Ce n’est pas rien.

« Johnny Cash, I Walk the Line » de Silvain Vanot.
Éditions Le Mot et le reste, 118 p., 13 €.
http://lemotetlereste.com/

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A propos de Benjamin Cocquenet

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