Impeccable retour de Peter Milton Walsh qui signe un nouvel album de The Apartments après une (trop) longue absence. La « résurrection » tient pour les fans d’un miracle doublement inespéré. Car depuis une vingtaine d’années, Walsh a traversé de graves difficultés personnelles qui compromettaient jusqu’ici tout espoir de reprise (la perte de son fils Riley en 1999, avait entériné sa retraite de la scène musicale). Et surtout, en mettant de côté l’argument biographique et la confidentialité dans laquelle le groupe est resté, parce que ce nouvel album revigore les qualités des disques précédents sans labeur affiché (voix intacte, composition, et sensibilité très personnelle des arrangements). La pause n’aura été qu’une parenthèse (de 18 années ou presque) pour Peter Walsh qui reprend très sereinement, du moins en apparence, ses affaires musicales, quasiment là où elles en étaient.
Après l’expérience acoustique de « Fête Foraine » en 1996, et de « Apart » en 1997, son pendant jazzy influencé par l’electronica (le dernier album studio en date du groupe), Peter Walsh renoue avec une formation élargie pour des arrangements ambitieux délicatement orchestrés (avec entre autres Amanda Brown, l’ex Go-Betweens, au violon). Les ballades décantées aux tonalités acoustiques voisinent les titres plus rythmés et soutenus ; les deux veines se fondant souvent dans le développement des morceaux. Sans les pasticher, « No Song… » synthétise toutes les facettes du groupe, avec un désir de musique davantage présent que rétrospectif.
Pour qui ne connaîtrait pas The Apartments, l’on se doit de brosser très succinctement la généalogie de ce « groupe » à la discographie intermittente mais très précieuse (7 albums, dont le live « Seven Songs » chez Talitres Records en 2013, le tout en 30 ans de carrière). Peter Milton Walsh, compositeur et guitariste australien, le fonde en 1978 à Brisbane. Le nom de la formation est emprunté au fameux film de Billy Wilder, « The Apartment (La Garçonnière) » de 1960, avec Jack Lemmon et Shirley Mc Laine. Walsh signe dès 79 un premier EP « Return of the Hypnoptist » et participe aux débuts des Go-Betweens (sur les faces B de leurs deux premiers singles). Il voyage ensuite à travers le monde, à New-York et Londres, où il enregistre son premier album en 1985 pour le label Rough Trade. « The Evening visits… and stays for years », comme les disques suivants, est réalisé avec des amis et musiciens agrégés au gré des pérégrinations. C’est la constante d’un groupe qui, en dehors de son chanteur-leader, n’aura jamais de musiciens fixes, sans que jamais sa direction musicale en pâtisse. Comme tous les auteurs-compositeurs singuliers un peu en marge des courants, Walsh excède dès le départ le post-punk énergique de mise en cette fin de décade, même si ses titres portent encore en eux l’électricité et la nervosité musicale de l’époque. La pop baroque, le goût des Walker Brothers, de Dusty Springfield, Sinatra, Sati, du folk, de la soul, et des textures acoustiques, compose un complexe d’influences indémêlables, parfois surprenant quand il agit dans le battement des albums, d’un titre sur l’autre. S’ajoutent une narration souvent introspective et une voix un peu angulaire, qui font de chaque album un billet évocateur, comme le cliché d’un moment, l’impression d’une ambiance.
Tous les albums des Apartments sont donc très ressemblants et différents à la fois, avec des ruptures sensibles (de « The Evening… » à « Drift » et surtout « Apart ») qui ne sont que des échos décalés. « No song, no spell, no madrigal » s’inscrit dans la veine des albums plus récents, entamée depuis le troisième disque « A Life of Farewells » en 1995 : des albums un peu plus sereins en surface et ouvertement mélodieux, avec leurs ombres tapissées, distillées sous la majesté des arrangements. Il n’en demeure pas moins que « No song, no spell, no madrigal », ouvertement dédié au fils disparu, est sous-tendu par cette invocation dramatique. To Riley Wilson Walsh – for whom something had to stop – for whom something had to go on. La dédicace touchante donne le ton du disque : cet hommage cathartique est un dépassement créatif, une transmission vivante, partagée en musique. L’évocation culmine en milieu d’album avec Twenty One et pour son finale Swap Places, un adieu en forme d’élégie (avec cette lancinante ligne du refrain : Where’s the God in all of this ?). Deux titres parmi les plus beaux, musicalement, avec suffisamment de distance et de tact pour ne pas tomber dans l’exhibition pathétique.
Ailleurs, à défaut d’être totalement compréhensible pour le public français (surtout quand il est doté d’un anglais approximatif), l’album égrène son chapelet de mélancolies, à propos de soi, du couple, de la fugacité des choses, sans pesanteur ni répétition musicale. Il y a dans les textes interprétés par Walsh, assez d’intonations et de mots aux sonorités imagées, pour nous en faire sentir le sens. Dès Black Ribbons, un titre interprété en duo avec Natascha Penot, l’album prend délibérément une tournant pop. Le contraste papillonnant des deux voix est porté par le balancement aérien de l’orchestration. Mais cette « passade » est vite démentie par le morceau suivant, Twenty One, où la solitude de Walsh est traitée dans la réverbération piano-voix, avant une très belle reprise en chœur des deux voix durant le crescendo final. L’unité thématique et musicale de l’album se découvre dans ces mouvements, que l’on sent voulus d’un titre à l’autre. Ce sont des évolutions insensibles, des humeurs enchaînées, un jeu de reversements, de contrepoints incessants, qui cimentent la course de ces huit chansons, très progressivement, pour estomper leurs individualités.
Sur « No song, no spell, no madrigal », le piano, les cordes, la trompette et les chœurs sont plus que jamais de mise, comme jadis pour « A Life of Farewells », afin de composer cette pop de chambre, fluide et intimiste. Le narré-chanté inimitable, doux et quelque peu nasillard, avec son tremolo haletant, nous met instantanément dans la confidence, comme une enveloppe amicale. Son charme ne cessera d’agir sur la durée de l’album, assez concis. Sur la classieuse pochette, la photographie de Broadway saisie sous la neige (photo de Vivienne Gucwa et conception graphique de Pascal Blua), ne traduit qu’imparfaitement l’atmosphère d’un disque au détail plus sinueux ; un disque qui peux prendre au fil des titres des airs épiques de boléro (le climax émotionnel de Twenty One), s’abandonner à une pop battante et « chorale » (September skies) ou renouer avec un léger déhanché pour son finale, dans un mélange de gospel et de clappements profanes, rappelant l’album « Apart » (Swap Places). En somme, une patine musicale un peu moins homogène, et surtout plus complexe qu’à première écoute. Le ton reste introspectif, délicatement dramatique, mais l’horizon musical est varié, atmosphérique et toujours un peu versatile. C’est certainement un cliché, mais « No song, no spell, no madrigal » en impose encore, une fois de plus, par cette autorité majestueuse et douce, qui se dégage au fil des écoutes.
The Apartments – « No Song, no spell, no madrigal » (2015)
L’album a été financé grâce à une campagne participative.
Il est édité sur le label parisien Microcultures en CD et Vinyle.
merci à Olivier Seguin, pour les photographies du concert de The Apartments en 2012 à Bordeaux (La Roche de Palmer ). Il est également le réalisateur de la vidéo du titre Twenty One visible sur Culturopoing.
Couverture de l’album : Vivienne Gucwa (photographie) et Pascal Blua (artwork). Les visuels du concert (affiches, scène…) ont été réalisés par Pascal Blua à partir des photographies de Raymond Cauchetier.
et aussi… à écouter, lire ou regarder : http://www.theapartments-music.com/ http://www.mousedesign.fr
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