« Je suis soumis au chef du signe de l’automne. » Ce vers d’Apollinaire pourrait être mis en exergue de bon nombre d’albums de The Clientele et le tout récent Music for the Age of Miracles ne fait pas exception à la règle. Il est d’ailleurs arrivé le jour même du solstice après la longue période de silence de sept années qui a fait suite à la parution discrète d’un mini-album dont la grâce laissait transparaître quelques craquelures de fatigue, Minotaur (2010), et l’annonce d’une parenthèse d’une durée indéterminée qui sonnait pour beaucoup comme un baisser de rideau.
Le premier des miracles est sans doute que le groupe d’Alasdair MacLean soit parvenu à surmonter sa légitime frustration engendrée par le manque de reconnaissance d’un large public pour remettre sur le métier son ouvrage d’orfèvrerie pop, et on remercie les hasards et les rencontres qui se sont ligués pour aboutir à cette renaissance. Le second est qu’en variant peu les ingrédients de base de sa recette, The Clientele parvienne à ne jamais être redondant tout en demeurant intimement familier ; les mots de MacLean sont toujours d’infatigables poètes promeneurs déambulant dans les parcs jonchés de feuilles rousses ou les rues grignotées de crépuscule avant d’être avalées par la nuit ; comme de coutume, voix, guitare, basse, batterie et claviers s’embellissent de cuivres chauds et de cordes enveloppantes. La nouveauté se cache dans nombre de détails sur lesquels on pourrait passer sans presque les remarquer mais qui pourtant contribuent de façon décisive à la magie de l’ensemble, des notes cristallines de harpe, de l’électronique et des effets de bandes comme base de la chanson la plus aventureuse de l’album, « Everything You See Tonight is Different from Itself », quelques touches exotiques apportées par des instruments iraniens tels le santour ou le saz, expertement distillées par Anthony Harmer dont on sent bien quel rôle de catalyseur créatif il a pu jouer dans cette entreprise.
Confronté à cette « époque des miracles » où le monde est de plus en plus gagné par l’irrationalité des situations et des comportements, le regard de The Clientele s’embue d’une nostalgie que sa douceur préserve cependant de toute tristesse, y compris quand affleurent les images de cette patrie perdue qu’est la jeunesse – la nostalgie c’est, textuellement, le mal du pays – dans le rêve éveillé parlando (une vieille habitude du groupe) de « The Museum of Fog » où, comme par hasard, un des protagonistes, chanteur, se fait appeler The Phantom. Le masque est idéal pour un disque hanté par la fuite du temps (« When the old light comes in/It’s as sharp as a knife », « Falling Asleep ») et ponctué par de fréquentes évocations du cycle des saisons qui, semblables aux spectres, s’évanouissent pour mieux revenir (« Lyra in April », « Lyra in October », ou l’arrivée des oiseaux migrateurs dans « Everything You See Tonight… ») mais également des corps célestes (« Lunar Days », « Constellations Echo Lanes »), éléments mouvants d’une éternité inaccessible à l’homme, et donc fascinante. Ce qui frappe chez The Clientele est cette propension à travailler inlassablement une poignée de motifs qui peut faire songer aux séries de Claude Monet ; ainsi le sentiment d’étrangeté présent depuis Suburban Light n’a-t-il cessé de se développer tout au long des dix-sept années qui nous séparent de la parution de ce premier album, abordé à chaque reprise sous un angle différent et se parant sans cesse de nouvelles nuances ; on peut en relever de nombreuses occurrences, « I was no one today » (« Lunar Days »), « You’re an empty face/In an empty house » (« Everything You See Tonight… »), « Lately I’ve been living like I’m so far away/Like I’m somebody else/In some other place » (« The Age of Miracles », la chanson finale dans laquelle se mêlent de façon étreignante acceptation et espérance) pour n’en citer que trois.
Tout en fluidité lumineuse, en diaprures de brume et en frémissements d’ambre, Music for the Age of Miracles est un album d’une mélancolie incroyablement consolatrice et chaleureuse, parfois scintillante, un pendant rêveur et débordant de poésie au plus spontané Bonfires on the Heath (2009) qui s’inscrit impeccablement dans la production de The Clientele tout en esquissant de possibles nouveaux chemins pour un avenir que l’on veut croire radieux pour ces musiciens au talent si précieux. Sous la bannière des Sonnets à Orphée de Rilke dont deux vers ont été choisis pour exergue, leur Âge des miracles est définitivement celui des enchantements.
The Clientele, Music for the Age of Miracles 1 CD / 1 LP Merge Records/Tapete Records
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