The Decemberists – « As It Ever Was, So It Will Be Again » (YABB Records)

On a retrouvé les Decemberists. Après un album inégal (What a Terrible World, What a Beautiful World, 2015) suivi d’un médiocre (I’ll Be Your Girl, 2018), la cause semblait entendue : il n’y avait plus grand-chose à attendre de Colin Meloy et ses amis. Ils ont pris le temps de peaufiner des retrouvailles – six ans de réflexion, retour de l’historique Tucker Martine à la production – dans une forme inespérée.

En ouverture, « Burial Ground » frappe par sa simplicité, son allure de comptine à la fois drôlatique et macabre (« Contract malaria, meet at the burial ground »), le même humour traversant, sur des rythmes chaloupés gorgés de sonorités cuivrées, « Oh No ! », récit sarcastique d’une fête nuptiale mise sans dessus dessous par une bande de brigands. Colin Meloy s’est ressourcé aux vertus de la simplicité sans renier ni son talent narratif – il est devenu un auteur à succès – ni ses ambitions musicales. Le ton direct de la chanson d’amour « All I Want Is You » trouve un écho plein d’affection amicale dans « Tell Me What’s on Your Mind » ; l’anxiété qui assombrit « Don’t Go to the Woods » s’exprime sans détour, donnant à la chanson une force émotionnelle indéniable ; « Born in the Morning » joue plutôt la carte d’une goguenardise bon enfant. Mais la plume des Decemberists excelle toujours à inventer un paysage en quelques notations (« The Reapers » au parfum folklorique composé avec finesse), à esquisser une histoire comme celle de William Fitzwilliam qu’on croirait tirée de quelque recueil oublié de ballades élisabéthaines mais où les repères spatio-temporels sont chahutés avec art, mélodie country-folk et notations contemporaines (« he lit in his skateboard ») à l’appui. Sans parler de l’ironie sous-jacente d’« America Made Me » où fanfares et swing soulignent au lieu de la dissimuler une certaine forme de désarroi. C’est brillant sans jamais oublier d’être subtil. Attentifs à renouer avec ce qui a fait d’eux un groupe à part, les Decemberists nous gratifient d’un final épique, « Joan in the Garden », inspiré par la lecture du Roman de Jeanne (2017) signé par Lidia Yuknavitch. On pouvait redouter que développer une chanson de presque vingt minutes sur Jeanne d’Arc s’avérât indigeste ; il n’en est rien : cette rêverie (sous-titre donné à l’épisode central aux clins d’œil floydiens) prog-rock sait tenir en haleine par sa progression dynamique très étudiée qui, évitant l’emphase, permet à son unité de ne jamais se disloquer.

Démonstration de savoir-faire aussi inattendue que convaincante, As It Ever Was, So It Will Be Again rappelle la palette musicale étendue dont disposent les Decemberists, aussi à l’aise dans un registre pop souriant que dans des expressions plus traditionnelles, tendues ou nostalgiques. La permanence qu’évoque le titre de l’album n’est en rien figée ou muséale ; le mélange de maturité et de vitalité qui nourrit cette réalisation a, au contraire, tout d’une fontaine de jouvence.

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A propos de Jean-Christophe PUCEK

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