Le premier album de The Drums, sorti depuis plusieurs mois, fait avec le recul une bien drôle d’impression : des mélodies posées sur un tempo altier sinon joyeux, des refrains mémorables amenés par des couplets bien moins carrés, une voix claire et propre sur elle qui sent l’après-shampoing et la crème de jour, autant d’éléments qui sonnent comme des échos d’un passé à la fois révolu et éternel, même si fort heureusement l’album ne convoque aucune nostalgie souffreteuse à son chevet.
Révolu car daté musicalement dans le temps, l’expression d’une pop ligne claire venant tout droit des sixties où les instruments (la guitare en tête) enfilent leurs habits du dimanche. Sixties oui mais des sixties remises au goût du jour, ramenées à la réalité de l’instant, cette année 2010 (la ligne de synthés de Fovever & ever amen par exemple), ce sentiment aussi d’avoir affaire à de dignes héritiers de cette décade 80’s où la pop lumineuse et sophistiquée s’est taillée un joli chemin (Prefab Sprout pour les mélodies, Housemartins par exemple côté tempos), un chemin arpenté en sautillant et hop youpla boum.
Eternel car « simple » illustration au final d’une tradition séculaire en pop music, peut-être même ce qui en fait sa quintessence, cette expression musicale de la jeunesse, la déification de cet instant où l’on s’émancipe de l’adolescence pour s’en aller toiser tout l’autour de sa fraicheur, de son envie de croquer à pleine dent l’instant, cet âge des possibles où il va de soi qu’il suffit de se pencher pour se servir.
The Drums est un jeune groupe d’impétueux jeunes New Yorkais, ils ne sont ni les premiers ni les derniers à offrir pareil imaginaire, pareil univers. Prenons Let’s go surfing, le troisième titre de l’album qui évoque bien moins la surf music qu’un fantasme, celui convoqué en leur temps et entre autres noms par les écossais de BMX Bandits (eux qui eurent 20 ans dans les années 90) et leur album Theme Park. Cette idée collégiale d’une pop rétro qui ne soit ni ampoulée ni surtout naphtalineuse, ce surfer qui n’a jamais vu la mer du moins les vagues du Pacifique mais qui se convainc qu’en ouvrant la porte de sa chambre là tout de suite il sera directement sur le front de mer de Venice Beach (comme Laurent Baffie au début de son film Les clés de la bagnole ? Peut-être mais avec Dick Dale dans le rôle de Daniel Russo).
L’âge des possibles, le temps des possibles.
N’allez cependant pas croire qu’il ne s’agit avec The Drums que d’une sympathique bande de pois sauteurs à mèche qui se trémoussent en chœur quand ils chantent la joie du samedi après-midi passé en galante compagnie à se lover sous le même parapluie dans la file d’attente d’un cinéma programmant un vieux Woody Allen. « You are my best friend and then you died », voilà les premiers mots chantés du disque, « I thought my life would get easier, instead it’s getting harder » chante encore Jonathan Pearce (chanteur et principal compositeur dugroupe) sur ce qui est sans doute la meilleure chanson du disque, Book of stories. Il serait tentant et facile de rapprocher ce mélange pop altière/paroles troubles des Smiths mais cela serait un tantinet erroné. Il n’est que peu question ici de trauma introspectif et de profondeur sublimée par l’affect, simplement encore une fois de cette période juvénile de nos vies où le temps semble se suspendre et où chaque émotion, chaque sentiment s’appréhende dans sa pleine entité et ne souffre d’aucune part congrue, d’aucun affinage raisonnable. Les thématiques creusent cette grâce que l’on traque pour ensuite garder serrée bien fort contre soi et en en déguster le suc jusqu’à la dernière goutte.
– L’amour? « Forever & ever Amen! ».
– Les turpitudes amoureuses? « You’re killing me! ».
– La vie? « We, we are the youth and we will live forever! ».
Ces chansons justement parlons-en, pas un titre faible, que du bon. Les grands moments sont là, en nombre : We tried, Me and the moon ou encore Best Friend. Il y en d’autres. Quelques mot ainsi sur Book of stories, une chanson qui ne dénote en rien des autres sinon que tout y est un poil plus fort qu’ailleurs (refrain, mélodie), magique. Quelques mots aussi sur Down by the water, titre ici à l’écart non dans l’esprit mais plutôt dans sa forme, un tempo lent. Cette mélodie possède le même squelette rythmique (squelette est le mot) que la chanson My body’s a zombie for you des Dead Man’s bones, autre jeune formation américaine, Hollywoodienne pour le coup, autre hommage à cette manière un poil rétro de faire se rapprocher garçons et filles le temps d’un slow (c’est le terme exact, bien plus qu’une ballade). Ce qui est remarquable c’est de comparer les deux résultats, deux sublimes chansons à l’univers diamétralement opposé, le noir Burtonien d’un côté et le flamboyant Technicolor de l’autre, la noirceur sophistiquée de l’une, l’aveuglante clarté d’un rayon de soleil estival pointant une clairière de l’autre. Le monde est gris, le monde est bleu chantait l’ami Eric Charden, le monde est surtout beau.
Ce n’est évidemment pas un hasard si cette musique sonne autant sixties, ce moment de l’histoire où la jeunesse se découvre corps social et s’émancipe des schémas culturels d’antan, cette pop culture, cette pop music, ce rock’n’roll qui grandit lui-aussi et se découvre à la fois un corps et une âme, une conscience, elle symbolise ainsi à merveille cette vingtaine rugissante et euphorisante. Ce n’est pas un hasard non plus si la musique de The Drums trouve quelques ajustements dans la décade des 80’s, ce moment dans l’histoire du rock (le post-punk est là, la pop ligne claire essentiellement anglaise pointe, le CD arrive, MTV aussi) où la consommation devient de masse et où le rock se trouve une nouvelle génération et non la moindre à nourrir.
A la réflexion, et pour conclure, le groupe qui se rapprocherait le plus de The Drums n’est pas forcément à chercher au sein des différents catalogues d’artistes de nos labels et encore moins au-cœur des milliers, des millions de pages myspace de tout le world wide web, il est plus à voir du côté du cinéma et plus particulièrement du film Phantom of the Paradise de Brian de Palma. Dans ce film, le démiurge Spectorien Swan innonde les hit-parades avec son groupe rétro et nostalgiques appelé les Juicy Fruits. On retrouve dans la musique de The Drums cette même exaltation de la jeunesse comme cette même sacralisatation de la pop moderne et du rock’n’roll de ces années-là. A une différence toutefois et non des moindres, essentielle, que les Juicy fruits ne sont qu’un simple calque.
The Drums est un groupe éloigné de toute idée de caricature, de toute posture, de ce qu’aurait pu dire Nietzsche à propos de ses semblables :
« Je cherchais des grands hommes et je n’ai trouvé que des hommes singeant leur idéal »
Leur musique est un miracle d’équilibre entre la réminiscence du golden age de la pop music et la représentation sensible (au sens Kantien du terme, ouvrez si nécessaire un manuel de philosophie à la page Phénomène/Noumène/Choise en soi, sinon Télé Z) de ce que peut être une jeunesse dynamique, enjouée et résolue.
Une intuition pure comme dirait l’autre (Kant, pas Charden ou Baffie).
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