Depuis trente-cinq ans (sans compter la presque décennie antérieure sous le nom de Masquerade), The Innocence Mission vient de temps à autre illuminer une parcelle de nos vies tel un rayon de soleil sur le square pour emprunter le titre de l’album paru en 2018. Poser sur la platine un de ses disques, c’est se retrouver dans l’instant en terrain familier, à la maison ; le treizième, Midwinter Swimmers, ne fait pas exception.
La douceur est un art difficile. Et trompeur. Elle invite, enveloppe à tel point qu’on ne voit pas venir ce qui, sans crier gare, va nous bouleverser. La chanson éponyme, par exemple, évoque le spectacle de nageurs au milieu de l’hiver pour mieux souligner l’absence de qui n’est pas là pour le contempler, dont on espère le retour. Simple – trop, diront certains. Pourtant, la clarté vibrante de la mélodie épouse les mots, et les deux s’enroulent autour du cœur, lui arrachent le même soupir que la voix qui s’élève « like some dots of light, through tears ».
Karen Peris a un don pour extraire ce qui, dans un fragment captivé du quotidien, va devenir chanson, la pépite brillante qu’une décantation minutieuse déposera sur le fond du tamis. Avec la complicité de son mari Don (guitares, batterie) et de Mike Bitts (basse), elle dessine des paysages où la couleur s’impose en touches plus ou moins larges, l’horizon embrasé du couchant californien (Orange of the Westering Sun), la ponctuation des feuilles dorées sur le ciel (Sisters and Brothers) – « to hear color, see the sound » (We Would Meet in Center City). Chaque morceau devient un univers aux contours ciselés auquel un folk atmosphérique aux teintes seventies, où s’invite parfois un soupçon de bossa nova (Your Saturday Picture), confère une nostalgie subtile mais tenace. Les voyages évoqués çà et là se situent au carrefour de la réalité, du souvenir et du rêve, ainsi The Camera Divides the Coast of Maine, sans doute un des sommets poétiques de l’album, caressé par les « golden languages of mosses and sunlight », ou A Hundred Flowers, départ précipité sur fond de tangage sentimental vers une destination inconnue avec pour seuls témoins quelques tilleuls – les arbres ont toujours eu une place privilégiée dans le lexique de The Innocence Mission.
Animé comme peu de ses prédécesseurs par départs et retours, articulant avec justesse plénitude et manque, Midwinter Swimmers oscille sans cesse entre flux et reflux, comme bercé par l’onde d’une mer intérieure secrète. Conjuguant assurance et fragilité, il trace d’un sourire attendri un chemin sensible, lumineux, vers les immensités libres auxquelles il aspire.
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