Aube dernière ou lieu de toutes les promesses, le matin est un moment plus ambigu qu’il y paraît. Deux ans à peine après avoir annoncé son départ du groupe Band of Horses, Tyler Ramsey, qui fut son guitariste et co-auteur durant dix ans, place son quatrième album solo (le précédent, The Valley Wind, remonte à 2011) sous la bannière des premières heures du jour, sans doute en partie pour souligner le nouveau départ qu’il symbolise. En partie seulement, car la genèse de ce disque et la chanson à la voix nue soutenue seulement par une guitare qui le referme en lui donnant son titre content une autre histoire, celle d’un jeune père de famille berçant les insomnies de son nouveau-né en attendant qu’arrive l’aurore et en se remémorant certaines étapes de sa vie errante. For The Morning est un singulier et attachant mélange de confiance et de fragilité, d’intimisme et de vastitude, à la fois solidement ancré dans le sentiment de la nature et presque déraciné, en tout cas perpétuellement sur le fil. Bien qu’avançant avec chevillé à l’âme l’espoir d’apprendre de ses erreurs et de devenir meilleur qu’il exprime d’emblée dans « Your Whole Life », Tyler Ramsey est à l’évidence un musicien et un homme hanté par le sentiment de la distance et par l’absence, celle de l’être aimé mais aussi celle à soi-même. « A Dream Of Home » est une chanson née sur la route, lors des tournées, dans le vertige des paysages qui défilent sans que l’on s’y arrête, des jours se muant en semaines puis en saisons sans rien pour arrêter leur écoulement affolé, de l’appel à l’autre auquel on se raccroche mais que chaque tour de roue rend plus fantomatique ; le mal-être où elle prend sa source n’est pas complètement masqué par la rythmique qui la pousse inlassablement en avant. Le cœur en souffrance, certes atténuée par des accents country dans « Breaking A Heart » mais frôlant dangereusement la désespérance dans « The Bottom Of The Sea » où il est clairement question de tentations d’auto-destruction, fait naître deux joyaux : « Cheap Summer Dress » pourrait n’être qu’une banale histoire de rupture ; la sobriété avec laquelle elle est racontée par le prisme de cette robe d’été bon marché achetée par l’amoureux et du ruban refermant le sac en papier qui l’emballe, le chant, la mélodie et les arrangements sans rien d’appuyé rendent son dénuement et sa pudeur bouleversants. « Firewood » (précédée par un très bel instrumental, « Darkest Clouds », dont la transparence moirée m’a immédiatement fait penser aux Fleet Foxes) commence dans la désolation de l’abandon puis sort lentement des ténèbres, telle une aube rassérénante ramenant avec elle une lumière et une chaleur enveloppantes. Cette recherche de plénitude peut aussi s’incarner dans la séduction et « White Coat » est toute entière parcourue par un frisson auquel le paysage semble s’accorder pour lui conférer plus d’ampleur encore — il s’agit probablement du morceau où l’horizon se déploie le plus largement.
À la croisée des musiques traditionnelles, de la country et du folk, d’une énergie souvent songeuse, parfois d’une mélancolie assumée et jamais geignarde, For The Morning se révèle, au fil des écoutes, plein d’une sobre délicatesse. Sa production soignée, ses chanteurs et instrumentistes invités choisis pour les affinités réelles qu’ils entretiennent avec l’univers de l’album, se mettent entièrement au service de chansons d’une toujours grande simplicité qu’ils viennent faire frémir, caresser, exalter. Tyler Ramsey a décidé de s’installer à la campagne avec sa famille pour y mener une existence plus en accord avec la nature, loin des nuisances du monde moderne ; son disque concentré, plus complexe qu’en apparence, laisse penser que s’il n’y a pas encore totalement trouvé la paix, il y a incontestablement trouvé sa voix.
Tyler Ramsey, For The Morning
1 CD / LP Fantasy Records
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