Adam Sandler le chantait à Drew Barrymore à la toute fin de la comédie romantique The Wedding Singer, la guitare acoustique en bandoulière et Billy Idol juste derrière, souvenez-vous :
« I wanna grow old with you »
Le propre des comédies romantiques est de réserver à ces protagonistes une ultime épreuve aux deux tiers du film environ et avant les grandes et ultimes retrouvailles finales, jusqu’à ce que la mort, où la fin du film, les sépare. Un malentendu, une basse manœuvre du/ de la rival(e), le coquin de sort, un caprice du destin, qu’importe. L’écueil se dresse devant la route des tourtereaux. Dans le film en question, Sandler se retrouve ainsi aux basques de Drew en partance pour Las Vegas afin d’épouser son andouille de fiancé (le fameux et fourbe manœuvrier, toujours à l’œuvre dans les films de ce type), la faute à un quiproquo et divers malentendus (ils s’aiment mais ils sont un peu cons, il faut le dire, lui à aborder une coupe mullet et à endosser le rôle du meilleur ami de celle qu’il aime, elle à s’être enamourée d’un fan de Miami Vice (nous étions certes dans les 80’s) qui culbute tout ce qui lui passe sous le nez). Après maintes péripéties (et la rencontre avec Billy Idol quand même), Sandler retrouve enfin sa belle dans un avion. Le spectateur retient son souffle et croise les doigts pour que l’impétrant et l’impétrante puissent enfin s’aimer…et donc, comme l’un le chante à l’autre, vieillir ensemble.
« I wanna grow old with you »
Voilà le propre des histoires d’amour n’est-il pas, que les sentiments résistent au temps et que la grâce et le bonheur nous accompagnent tous les jours de notre vie.
D’amour et de vieillesse, il en est question avec ce nouvel album d’Underworld. De musique de mariage par contre, un peu moins, tant la musique du duo (anciennement trio) anglais tient plus dans l’imagerie collective de l’enterrement de vie de garçon que de l’ouverture du bal avec papy Jean. « Born Slippy » vous pensez. Cette face B devenue presque accidentellement, à la faveur du phénomène Trainspotting (mais aussi d’une publicité pour du dentifrice, hum hum), l’un des hymnes techno les plus reconnaissables de toute la décade 90, sinon de toute son Histoire. Le malentendu était là dès le départ ou presque (le morceau figurera finalement, suite à son succès, en bonus sur une nouvelle réédition du quatrième album du groupe) avec ce titre puissant, ultime et implacable mais bien loin à vrai dire des standards musicaux alors en vigueur chez Underworld, une techno atmosphérique enrichie par la science musicale et le phrasé paresseux de Karl Hyde (et illustrée à merveille par un titre comme « Dark & Long »), du moins côté studio car les performances live perchaient le public à des hauteurs où l’ivresse des cimes n’avait d’égale que la beauté du panorama (voir, et surtout écouter, la fabuleuse turbine live Everything Everything).
Le temps a ensuite fait son œuvre, rien de bien surprenant en fait pour une formation sur le pont depuis tellement longtemps, nous parlons là d’un groupe qui a publié son premier album en 1988. Une relative usure du temps donc, album après album. Mouais, peut-être. Oblivion With Bells publié en 2007 était pourtant plus que réussi, bien plus en tous les cas que son successeur Barking (2010), noyé sous les collaborations extérieures et un poil faisandé. Le signe tout simplement que le cercle vicieux disque/tournée/disque/tournée avait fini pour essorer la créativité de nos ouailles et que le bout de piste était proche. Qu’importe le travail était fait et la « légende » était enregistrée, gravée, imprimée.
Mais non.
Six ans plus tard, le duo repart au feu avec un album composé de manière inédite (à savoir sur de « vrais » instruments avant que les compos soient plongées dans le bain des samplers et autre plugins habituels) et enregistré fort rapidement lors d’un séjour au Chili. Un délai nécessaire pour que les deux musiciens s’oxygènent davantage, que cela soit collégialement (leur collaboration avec… Danny Boyle (évidemment) pour les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques de Londres) ou bien individuellement (des musiques de film pour Smith, un disque solo et deux albums signés à quatre mains avec Môssieur David Byrne pour Hyde).
Ce qui est finalement le plus étonnant avec ses sept nouveaux titres (pour quarante-cinq minutes de musique), c’est qu’ils s’inscrivent pleinement dans la lignée des meilleures livrées du groupe, tout en leur donnant un petit vent de fraîcheur plus que bienvenu. Nous restons en effet (et même plus encore que d’habitude) dans une techno de salon urbaine cossue et confortable, une sorte de musique pour CSP+, non pas tant pour l’éducation supposée aux belles et nobles choses de cette catégorie sociale que pour l’âge qui va généralement avec cette opulence et ce confort. L’âge oui, on y revient toujours. C’est que la musique techno couvre désormais plusieurs générations, des vaillants pionniers aux jeunes adolescents d’aujourd’hui, et il va de soi que Smith et Hyde, qui approchent mine de rien de la soixantaine, ont bien plus à voir avec la section senior du club que de ses vaillants louveteaux. Continuer à être, tout en ayant été, voilà le challenge du duo qui a déjà tout dit, tout fait, tout vu, tout connu mais qui continue cependant à tâter de la créativité, et tant pis si « Tiens, ils existent encore ? » est la première question qui vient au plus grand nombre quand on évoque le nom d’Underworld (on pense curieusement au groupe écossais Travis, au sommet au début des années 2000 et qui semble aujourd’hui comme rayé des cartes, lui aussi, alors qu’il continue, bon an mal an, de publier des albums plutôt agréables).
Paré d’un titre énigmatique (Barbara Barbara, un futur radieux nous attend), l’album débute sous un décor familier, cette techno parlée, cette chanson narrative et scandée, entre slogans répétés ad lib et cut-ups, avec l’entame « I Exhale » et surtout « If Rah », le midtempo qui suit. Le risque est certes fort de perdre d’emblée les non-anglophones, d’autant que ces deux morceaux sont les plus longs de l’album, près d’un quart d’heure à eux deux sur les trois du disque, mais il n’en est rien tant l’un et l’autre sont entraînants (écoutez donc le final monté en épingle de la seconde nommée) et pleins de sève. Sommet incontesté du disque, « Low Burn » déboule ensuite de sa sublime lancinance et de sa transe molle, presque sept minutes d’apesanteur hypnotique qui donne envie de monter le son d’un cran toutes les seize mesures. Voilà le titre qui donne à lui seul des gages à l’album et en valide même la publication. La descente qui suit est alors rapide et la décélération plus que sévère. Lesté de quatre minutes, « Santiago Cuatro » est une modeste rêverie acoustique (oui oui, une guitare acoustique) qui lorgne les étoiles. Tout en retenue, « Motorhome » est une sorte de faux prélude (six minutes tout de même) magnifié par la voix appliquée et soyeuse de Karl Hyde. Ce nouveau segment aura sans doute raison des plus fougueux des auditeurs, des plus jeunes aussi hum hum, mais il saura ravir les oreilles sensibles, concentrées et surtout rêveuses.
Dernière tranche enfin de l’album les deux derniers morceaux donnent dans la lumière et dans la belle et positive énergie, celle qui a plus à voir avec la sagesse et la sérénité qu’avec la fougue et l’enthousiasme. « Ova Nova » continue de célébrer le talent vocal de Karl Hyde avec une voix cristalline et haute comme jamais. Tendre et onctueux, le tapis rythmique sur lequel elle se pose est propice à la rêverie, au farniente paresseux, celui d’un milieu d’après-midi chômé par exemple. Il n’exhale en tous les cas que du beau, du bon et du doux. Avec ses sept minutes classieuses, élégantes et posées, ses sept minutes à la beauté discrète et imparable, de celles qui, sans avoir l’air d’y toucher, nous tourneboulent plus que de raison, le titre final « Nylon Strung » se veut comme les dernières manœuvres avant le départ vers la félicité, la beauté, la lumière blanche sans doute, la mort peut-être, l’éternité sans nul doute.
Into the light Barbara… Into the light.
Vieillir avec Underworld donc, à l’heure où la bande-son de nos vingt ans (« Born Slippy ») fête justement son vingtième anniversaire, à l’heure aussi où une suite à Trainspotting est annoncée. Cette fichue timeline qui s’étire, irrémédiablement et ce groupe qui a accompagné chacune de ses tranches, et qui continu de le faire. On pense à ces mots tirés de « If Rah » :
« And you don’t look old enough
To have suffered so much »
Le titre de l’album nous revient alors : Barbara Barbara We Face A Shining Future. En fait, les derniers mots prononcés par le père de Rick Smith sur son lit de mort et adressés à son épouse. Poignant. Mais loin de tout pathos, ce dernier album en date d’Underworld célèbre avant tout sa saine énergie et sa créativité « retrouvée », du moins régénérée. Cauchemar des obsédés de la nouveauté et de la hype, Barbara Barbara... est l’une des plus belles surprises de cette année 2016 et même de toute la discographie du binôme tant on n’attendait en fait plus grand chose d’eux. Comme quoi il faut toujours se méfier de l’or qui dort. Un passé radieux pour Underworld oui, un futur radieux ok, mais un présent tout aussi fort, élégant et inspiré et si on regarde souvent en arrière en parlant d’Underworld, il serait bon de regarder plutôt autour de soi, aujourd’hui, maintenant. Un présent radieux, oui, et comment.
Teaser officiel de l’album
« Low Burn », le sommet subjectif du disque
Le concert donné à Bristol en février dernier (incluant pas mal de nouveaux titres)
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