La cucaracha
La cucaracha
Ya no puede caminar
porque le falta porque le falta
marijuana que fumar
Gageons que pour ce qui est de fumar la marijuana Gene et Dean Ween (deux pseudos rassurez vous, ils ne sont pas plus frères que les Ramones ou que les Walker) ne sont jamais en reste. Ce duo originaire de Pennsylvanie existe depuis près de 20 ans et a sorti son premier album en 1989. Sobrement intitulé « God, Ween, Satan » il inaugurait une trilogie d’albums (viennent ensuite « The Pod » (hein ?) et « Pure guava » (qui ?)) plutôt bruitistes et un poil trop alambiqués pour le commun des mélomanes. Une pop bruitiste et opaque tenant sans doute autant d’une volonté de saloper la mélodie que d’une capacité musicale primaire.
Les trois pierres angulaires du duo américain ont il est vrai toujours été Prince, les Beatles et les Butthole Surfers. Sans atteindre les sommets mélodiques ou virtuoses des premiers nommés ils partagent avec les Butthole Surfers de l’ami Gibby Haynes le même sens de l’humour indécrottable et une totale absence de sérieux pour ce qui est du grand « cirque rock ». Ces deux tares dans la scène rock d’aujourd’hui ne doivent pas faire oublier que ce sont aussi et avant tout des musiciens passionnés et impliqués, du genre à préférer mourir plutôt que de sortir une mauvaise chanson. Voilà en tous les cas la clé pour aborder la musique et la carrière du groupe : des musiciens méticuleux, des touche-à-tout musicaux mais aussi d’indécrottables branleurs !
Pour en revenir à leur carrière, les choses sérieuses commencent avec « Chocolate & Cheese », disque sorti en 1994 sur Elektra excusez du peu, premier album sur une major et grand pas en avant à la fois dans la lisibilité médiatique de leur activisme musicale comme de la qualité superbe de l’album, une pop bricolée et iconoclaste allant d’un « Don’t shit where you eat » qui se passe de commentaire à une improbable ritournelle du nom de « The HIV song », dont la musique proche de celle d’une valse enfantine, est ponctuée toutes les 4 mesures du simple mot « Aids » chuchoté nonchalamment, sans oublier un « Mister, would you please drive my pony » qui semble venir tout droit d’un feuilleton enfantin totalement aseptisé des années 60.
Vous ajoutez un clip signé Spike Jonze (à la grande époque qui plus est) sur un « Freedom of the 76’ » tenant beaucoup musicalement du « What goes around comes around » de Lenny Kravitzet vous avez là un bien joli package « indé/cool/trendy » pour les masses. Notez qu’on est ici très loin donc des morceaux du début, et c’est tant mieux. Sans forcément rapprocher leurs musiques, on peut dire que la trajectoire du groupe épouse pour beaucoup celle de groupes comme les Flaming Lips ou encore Mercury Rev, passés d’une pop psyché complètement barrée à une pop psyché accessible. A l’heure d’enregistrer un nouvel album il est tant d’enfoncer le clou me direz-vous et de creuser plus encore le sillon d’une pop savante et joyeuse plus encore n’est ce pas ?
Et bien non, Ween sort en guise de suite un inénarrable « 12 golden country greats », pure disque country enregistré à Nashville avec l’aide de vétérans de la scène locale. Un suicide collectif mais sans nulle doute une blague qui doit encore bien faire marrer les deux ados attardés de Ween.
Deux disques sortiront ensuite intitulés « The mollusk » et «White pepper » (fouyouyouyouye), très proches du séminal « Chocolate & chees » (que j’adore, vous l’auriez deviné non ?) avant que la major ne décide que « ça allait bien 5/6 ans les conneries mais stop maintenant non mais quoi merde » et que Ween ne découvre les joies de l’autoproduction avec sortie sous licences. Notons pour tous les geek qui passeraient par ici que le clip du « Even if you don’t » tiré de White Pepper fut réalisé par Trey Parker et Matt Stone, messieurs South park eux-mêmes.
Le duo sortira ainsi depuis grosso-modo les années 2000 une multitude de cd live (3 à 4 sans compter un dvd) et uniquement un seul disque studio : « Quebec » (bah tiens…) sorti en 2003. Une carrière riche et chaotique ce qui finalement colle assez bien à la musique du groupe.
Sort enfin cette année (au tout début de septembre) « la Cucaracha » (et allez !), nouvel effort studio du duo gorgé de 13 pistes Weeniènes en diable à savoir un disque éclaté mais cohérent, pluri-thématique mais compact, éclaté mais mélodique. Car Ween c’est depuis « Chocolate & Cheese » et encore aujourd’hui profondément cela : une pop grand public (le plus souvent) pour peu que celui-ci aime être surpris au fil des chansons sans pour autant (ou si rarement) perdre pied.
13 chanson donc sur cet album. On peut isoler une suite « cohérente » qui va de la piste 8 « spirit Walker » (néo psychédélique) à la 11 « Lullaby » (somptueuse balade au piano à la Harry Nilsson) et qui brasse la même eau venue tout droit des années 60, l’époque des chœurs guillerets, de la pop psyché et des mélodies basiques mis en lumière par le soleil. Pour le reste nous nous trouvons avec 9 autres chansons pour autant de style musical et d’ambiance. On y va ? C’est parti !
- « Fiesta » en ouverture, une sorte de surf-music instrumentale qui n’aurait jamais vu la mer.
- La crétinerie jubilatoire du second morceau « Blue balloon », balade laid-back décontractée de la boite à rythme où une trompette rachitique singe le bruit que fait un ballon lorsqu’on y fait évacuer l’air en triturant son extrémité, le bruit se rapprochant sensiblement de celui du pet du moins chez certains végétarien(ne)s (dixit en tous les cas Dean & Gene Ween).
- « Friends » est une sorte d’improbable et génial morceau de sous-Eurodance (il faut oser tout de même) avec une boucle piquée sans doute à un producteur italien à moustache et sur laquelle une rythmique basse/batterie vient Weeniser le tout.
- Vient ensuite une balade électrique à la Neil Young (« Object »)
- puis une pure country Song incluant voix de canard et chemise à carreaux DANS le pantalon. A propos, vous connaissez la seule manière de différencier (en dehors du chapeau) un musicien grunge d’un musicien country ? C’est très simple : L’un joue la chemise à carreaux en dehors du pantalon et l’autre bien rentrée dans le jean noir.
- « My own bare hands » est une rock Song syncopée très proche de ce que peuvent faire les Foo Fighters quand ils sont fatigués (ce qui arrive souvent ces temps-ci).
- « The fruit man » (bah tiens !) est un gargouillis de reggae avant donc le sériel thématique « glorious sixties » qui nous amène jusqu’à la piste 12.
Et là je m’arrête quelques lignes.
Dans chaque album de Ween il y a un morceau pièce de résistance, le grand œuvre de l’album, un morceau épique et qui dépasse en général la huitaine de minutes, cette fois ci il se nomme « Man & Woman » et c’est un sommet de l’année, qu’on se le dise !
Faisons en préambule un petite aparté : Je veux bien donner quelque crédit à la carrière de Carlos Santana (du moins jusqu’à sa momification MTVesque récente) et tout et tout mais de très loin pour ce qui me concerne. Ce morceau pourtant fait inévitablement et irrésistiblement penser au Santana des années 70, lisez plutôt : Un morceau de 12 minutes incluant longue introduction planante en guise d’apéritif, un blanc de quelques secondes puis une cavalcade de percussions (tam-tam plutôt que grelot) en transe avant qu’un riff bien chaud vienne rompre la marche en avant puis bien vite la reprendre pour de longues minutes de chevauchée électrique trippante à souhait avant, en guise de long final, un solo de guitare épileptique. Sincèrement un des morceaux de l’année par son riff (trois notes qui plus est !) magistral et sa construction minutieuse.
Du coté des paroles le joli coté Santanesque s’évanouit pour laisser place à de la stupeur. Car on semble comprendre que les paroles rendent compte de l’opération d’un homme devenant femme**, un thème guère usité du côté du cigarillo décalotté n’est ce pas ? Imaginez Carlos Santana chanter « She’s a black magic man-woman » ou pire encore entamer les notes de guitare d’un « Balls’ sacrifice » mythique (auquel ce morceau de Ween fait irrésistiblement penser ?)
Après ce sommet un seul morceau pour clôturer le disque sur une note plus apaisé. (« Your party »). Une balade du genre piano-bar avec guitare chaloupée en ponctuation et un saxophone paresseux (celui de David Sanborn s’il vous plait !) en guise de point final à un disque de plus dans la belle discographie de Ween et comme bien souvent avec eux une petite bouffée de fraicheur, d’ironie et de talent mélodique dans la foisonnante actualité de la rentrée.
Au final nous avons là un disque guère différent de ce que le groupe nous a offert au fil de sa carrière, un disque de plus en fait dans cette belle œuvre mais une occasion sans doute pour beaucoup de découvrir ainsi la grande richesse pop de ce duo méconnu.
Qu’on se le dise satané crénom !
Deux extraits vidéos de l’album pour vous donner une idée de sa diversité.
** Théorie absolument fausse puisque la chanson parle en fait de la genèse (avec une ligne superbe « Ocean is a land with water ») sous ses airs de pseudo ésotérisme, ce qui se rapproche pas mal finalement de la soupe spirituelle bradée par Carlos Santana sur les tètes de gondoles de tous les supermarchés de la culture de notre monde occidentalo-repus.
Théorie fausse mais qui permet de pouvoir placer « Balls’ sacrifice » et c’est bien là son unique et savoureuse utilité comme vous l’aurez sans doute déviné.
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