Oyez braves gens! John Zorn le terrible va rentrer dans sa soixantième année mais il a encore toutes ses anches. Le compositeur, lui, est plus (oc)culte que jamais. Nous proposons donc une petite série, la discographie du compositeur étant un sacré feuilleton pas facile à engloutir, et encore moins à suivre. On en dénombre plus les épisodes ni les saisons, tant l’entreprise serait futile et sans cesse dépassée. Oui, Zorn compose plus vite qu’aucun, et Zorn a plein de visages : le saxophoniste, l’improvisateur, le compositeur, le savant, le populaire, l’amateur de cartoons et de SM. Pour autant, passé l’effet de trop plein initial, on s’apercevra vite que ces milles visages, apparemment dépareillés, finissent par se recouper, une fois saisie la matrice de quelques œuvres clés. Il n’y aura pas de grandes révélations pour les initiés mais sûrement moins de frayeurs pour les auditeurs égarés. Ouvrons donc la série par quelques cris d’émois, 3 exactement, parmi les plus fondamentaux :

Une grosse flinguerie The Big Gundown (1985, si je ne m’abuse)

Ça flingue dur dans celui-ci avec de sacrés pistoleros : Christian Marclay, Robert Quine, Derek Bailey, Marc Ribot bien-sûr, Cyro Baptista et même…Toots Thielemans l’harmoniciste. Un casting à se pâmer.Zorn y entreprend la relecture des musiques de film du maestro Ennio Morricone avec le gratin de la downtown scene. Les registres musicaux, très composites, englobent le rock, le blues, le jazz, l’improvisation, et bien sûr la musique de film. Une absolue réussite même pour ceux qui ne goûtent que modérément les ostinati de Morricone. L’album est une pièce capitale dans la discographie de Zorn car il synthétise toutes les expérimentations antérieures. On y retrouvera le libre télescopage des genres, des dynamiques de jeu empruntées au dessin animé, un travail sur des ambiances sonores très « visuelles » et une bonne poignée de montées incendiaires ou l’alto du petit maestro, Zorn, hurle comme une horde de coyotiz. L’une des entrées parmi les plus accessibles et divertissantes de son catalogue (mais qui demande tout de même un peu de persévérance). The Big Gundown reste d’une fraîcheur inaltérée malgré sa petite trentaine d’années.

Un serial un peu dissipé « Naked City » (1989-1996) et surtout de très bons (et accessibles) épisodes :
lalbum sans titre éponyme de (1989) et Radio (1993)

Naked City, nom emprunté au recueil de photographies criminelles réalisé par l’américain Weegee dans les années 30 et 40 dans les rues de New York, est la formation la plus emblématique de Zorn (avec Masada). Durant les 7 années d’existence du groupe (1989-1996), Zorn y accomplit la « fusion » du jazz (swing, bop, free, et même lounge) avec les musiques américaines les plus populaires (musique de films, surf, country, rock) et des courants musicaux extrêmes (punk hardcore, grindcore, métal). Le pire… c’est que ça marche! Pour autant, Naked City reste d’une identité assez fluctuante. Il y a la veine la plus violente du groupe (des vignettes Tex Avery hardcore, qui excèdent rarement les 40 secondes), la veine « easy » (de grosses sucreries pop-jazz, sorte de « musak » survitaminée), la veine médiane (entre jazz et rock), ou la plus éthérée (l’album ambiant Absinthe). Toutes enfin peuvent occasionnellement se combiner dans un même album qui s’emballe comme un junke-box méchamment beurré. L’album Radio est un manifeste de cet art consumé du zapping, sauf qu’ici les collages sont exécutés par les instrumentistes virtuoses du (super) groupe. La pochette rétro, assez somptueuse, se déploie pour énumérer l’ensemble des références librement culbutées, de Carole King jusqu’au cinéaste « shock » Samuel Fuller. Nombre de projets zorniens à avoir émergé par la suite sont, à l’évidence, des émanations du projet « Naked City », un creuset fourre-tout à l’impact retentissant.

 Un feuilleton free-jazz gonflé « Masada » et ses mille avatars,
dont le très beau 50th Birthday Celebration vol.1 (2004) du « Masada String Trio« 

« Masada » désigne autant le nom du quartet jazz créé par Zorn, qu’un ensemble de chansons destiné à de multiples interprètes. Aujourd’hui encore, Zorn continue de développer cet énorme répertoire mais confie son interprétation à des musiciens différents pour chaque album (la série Book of Angels). Tous les disques du Quartet Masada originel (1994-2005) mériteraient de figurer ici, au même titre que l’album du « Masada String Trio ».Zorn, y était accompagné de Dave Douglas à la trompette, de Greg Cohen à la contrebasse, et Joey Baron à la batterie.

Le quartet accomplissait une synthèse remarquable d’airs traditionnels juifs, de free-jazz, de grandes mélodies populaires américaines (dans la tradition de Burt Baccarach), avec une virulence qui rivalisait parfois avec les éructations hardcore de feu Naked City. La beauté de Masada tenait à la synthèse de ces influences dans un tout instrumental d’une formidable cohérence. On y trouvait non plus le Zorn de la table de montage godardienne, qui faisait se télescoper violemment les styles musicaux, mais un Zorn compositeur de grandes mélodies, tantôt apaisées, tantôt incendiaires, à la croisée de multiples traditions. Pour autant, dans Masada, qui était le projet le plus jazz de Zorn, l’improvisation, intense, n’était pas en reste, qu’elle soit collective (Zorn guidait le jeu collectif en donnant des signaux) ou individuelle (chaque membre était soliste).

Le String Trio est la version musique de chambre de Masada, sans batterie, avec Mark Feldman au violon, Erik Friedlander au violoncelle (tout deux de formation classique) et Greg Cohen à la contrebasse. L’album enregistré en 2003 pour la célébration des 50 ans de Zorn est absolument stupéfiant : les mélodies, très belles, y côtoient le free-jazz le plus échevelé.

Kaneto Shindo, « Onibaba, les tueuses », 1964

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A propos de Robert Loiseux

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