Zorn en serial – épisode 2 : "Kong versus Zilla"

Résumé de l’épisode précédent : on en a bavé ! De la sueur plein les aisselles, des gunfights crapuleux, la radio qui hurle des insanités et une bande de forcenés dans une forteresse assiégée… Mais ça ne faisait que commencer, car aujourd’hui Zorn, en bon docteur maboule, va expérimenter deux nouvelles façons de réanimer la musique. Pas question d’improviser pépère ni de faire des trilles avec le petit doigt, non, on va batailler comme des guérilleros avec un nom de code : Cobra. Puis, comme on est pas du genre à jouer de l’orgue de barbarie, on va te court-circuiter la machine, mettre un peu de jus dans l’électricité, te ventiler tout ça façon puzzle à tonton. Il sera donc question de deux monstres : les « Game pièces » (pièce-jeu littéralement) et les « File cards pieces » (composition par fiches), deux autres grands fondamentaux zorniens. Attention, 5.. 4.. 3.. 2.. 1.. ça commence.

Panique à tous bords. Singaï ! Le Cobra (1987-2005) est en liberté!

Autre « pièce » clef dans le répertoire zornien, Cobra n’est pas une composition mais un dispositif de jeu qui permet d’improviser en grande formation sans avoir une structure de morceau préalablement établie (Zorn les nomme « Game Pieces »). C’est un ensemble de signes de main ou bien des cartes, que les joueurs ou un « prompteur » à leur tête, montrent à tous les musiciens afin d’infléchir le jeu collectif, de le parasiter, ou de le morceler en petites unités d’instrumentistes. Et musicalement, cela donne quoi, me direz-vous ? Hé bien, quelque chose d’assez anarchique voire de franchement chaotique, désarticulé par endroits, mais qui peut aussi comporter de beaux moments d’interaction. Cobra est davantage un mode de jeu destiné à l’improvisation collective en concert qu’un objet musicalement fini. Pour concevoir cette sorte de « Monopoly » hystérique pour improvisateurs, Zorn a puisé son inspiration autant dans les sports populaires (baseball, hockey…) que dans des stratégies de guérilla, mais aussi dans les préceptes de John Cage sur l’aléatoire musical et le lâcher prise du compositeur. Cobra est donc, plus qu’une œuvre, un moment d’invention, fascinant à défaut d’être entièrement compréhensible et toujours audible, et les albums qui le joue en enregistrent le témoignage. Bien évidemment, Cobra a eu une incidence sur les autres albums, car à chaque fois qu’il est question d’insérer des moments d’improvisation ou tout simplement de diriger les musiciens, les techniques de jeu par signaux ont pu être réutilisées.

Mickey Spillane & Cie, The Bribe (1986-1998) une fiction pleine de Pulp
Ces « bribes » sont issues d’un remontage des chutes des enregistrements d’une fameuse pièce de Zorn, Spillane (en hommage à l’écrivain de romans policiers Mickey Spilane, inventeur du personnage de détective privé, Mike Hammer). Durant l’écriture d’une pièce instrumentale dédiée au cinéaste franco-suisse Godard, Zorn a inauguré une méthode de composition par fiches (les « file cards pieces »). Il s’agissait pour lui de noter toutes les idées ou les passages musicaux qu’il aimerait intégrer à sa composition, et d’obtenir celle-ci, en montant chaque événement, plus ou moins écrit ou improvisé, sans chercher à atténuer l’effet de collage découlant de ces juxtapositions. Succession de climats sonores, moments narrés, les compositions par fiches de Godard à The Bribe, ont un aspect éminemment cinématographique : faux raccords, emballements rythmiques et impromptus burlesques…. On doit l’avouer, même si Godard et Spillane sont célébrées pour leur valeur historique (un peu à la manière de Cobra) et qu’elles demeurent des pièces très fascinantes, leurs écoutes ne sont pas toujours très aisées. Ce n’est pas la musique qui est en cause, car elle n’est ni difficile ni hermétique, mais plutôt la densité de ces pièces « montées », et la voix parfois curieuse du narrateur (celle de Zorn imitant Godard, nasillarde, stridente, et d’un français peu compréhensible, détonne un peu sur la composition dédiée au réalisateur franco-suisse). The Bribe, qui a été élaborée à partir des séances de studio faites pour Spillane, est, tout en gardant les mêmes principes, d’une composition un peu plus digeste.

George Pan Cosmatos, « Cobra », 1986

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A propos de Robert Loiseux

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