Zorn en serial – épisode 4 : "taboo et vahinés exploitation"

 

Aujourd’hui, c’est easy, on se relâche. Après un voyage bien éprouvant en terres expérimentales, on vous propose un zeste de repos bien acidulé. Sans plus attendre, vous vous rendez dans un hamac, pour vous y balancer au son d’une guitare hawaïenne, un demi ananas de cocktail en main et, paille en bouche, vous en sirotez doucement le contenu. Vous pouvez aussi vous enfoncer dans le canapé, bien en face à l’écran, la zapette mollement fichée dans la main. Et, les yeux plissés, vous laisserez défiler un cocktail de films, tous agrémentés de bandes originales zorniennes. Ambiances lounge, pop, latino, moyen-orienta..a..a..le.. .. De temps à autres, quand passera un petit film d’exploitation nerveux, vous sursauterez au son des sirènes qui hurlent. Pour finir, il se peut même que vous entendiez à travers la cloison mitoyenne, une série de claquements louches, là, juste à côté, dans l’arrière salle d’un vidéodrome interdit.

 

une série perverse et ses avatars exotiques :
les Music Romance
(1998-2000) et surtout « The Dreamers » (2008-)

 

« The Dreamers » qui s’impose comme l’une des formations contemporaines phare de Zorn, tant en matière d’albums que de performances scéniques, rassemble nombre des musiciens présents dans « Electric Masada », une formation jumelle. Dans le sextet « Dreamers », dirigé par Zorn, on trouve Marc Ribot (guitare), Jamie Saft (claviers), Kenny Wollesen (vibraphone), Trevor Dunn (basse), Cyro Baptista (percussions) et Joey Baron (aux fûts). Le projet musical consiste en une sorte de rêverie, remplie de mirages mélodiques qui rappellent tout à tour l’exotica de Martin Denny et de Lee Baxter, le piano-jazz de Vince Guaraldi, le surf-rock, la bossa, le latin jazz ; le tout avec une série de petites touches percussives au charme très enfantin. Les origines du projet sont à rechercher du côté de la série éphémère, et un peu antérieure, des Music Romance. Sur un premier volume très éclectique intitulé Music for Children (1998), deux titres posaient à eux deux tous les ingrédients du futur groupe : « le fils des étoiles« , un morceau interprété par Antony Coleman au célesta et par le percussionniste Cyro Baptista, et « A dream dreams« , une association aérienne de guitare surf et de musique de chambre, jouée par le trio Marc Ribot, Erik Friedlander et Greg Cohen. Le volume 3, The Gift en 2001, accomplissait la synthèse musicale incroyable de ce nouveau creuset, avec, en sus, de la guimbarde et des percussions brésiliennes. La musique très accessible, souvent légère, colorée, a suscité des controverses chez les admirateurs de Zorn, et surtout la crainte que le compositeur ait définitivement basculé dans un jazz mainstream, dégoulinant de sucre kitch. Pourtant, il ne faut pas se laisser abuser par l’apparente facilité d’écoute des albums, ni par leur (belle) imagerie enfantine. « The Dreamers » n’a rien d’un Jazz à Tonton taillé pour les bacs du grand commerce. On n’y trouvera pas, non plus, le sentimentalisme de la musique pour dessins animés et Mangas. Comme les projets précédents, « The Dreamers » est autant une déclaration d’amour aux sub genres marginalisés de la musique populaire (surf-rock, exotica…) qu’une relecture iconoclaste. Les disques de cette formation revitalise ces influences, non pas en se contentant de les pasticher à la manière d’un reviva retrol, mais en les nourrissant par un jeu d’associations aussi hybrides que sophistiquées. La grande marmite des Dreamers distille un Morricone de contrebande, des délires claviéristes empruntés u jazz fusion des années 70 (versants Davis et Hancock), des espagnolades et des arabesques andalouses, des saillies d’électricité rock bien angulaires, plus des climax cinématiques, entre blues pluvieux et chuchotements d’épouvante. « The Dreamers » s’inscrit dans la droite lignée des mélanges zorniens antérieurs (Naked City en tête) mais avec une plus grande sophistication dans les arrangements, des citations un peu plus pétries, et une texture musicale bien singulière.

 

 

Dingo que nous sommes des dreameries, il nous serait difficile d’élire un album parmi les 4 signés par la formation, tant chacun de ces volumes, uniformément excellents, tend à éclipser son prédécesseur pour s’imposer comme le chef d’œuvre du groupe. Cependant, nous nous inclinons volontiers au pied du premier opus bigarré, The Dreamers en 2008, pour son incroyable diversité et sa remarquable cohérence.

 

 

 

 

le filon intarissable des BOs : les « Filmworks » (1986-2???) entre Walter Hill et Maya Deren,

Autant le dire tout de suite, avec ses recompilations et sa chronologie chahutée, la série des Filmworks est un inénarrable foutoir, du moins au début, un peu comme la chambre dérangée d’un vilain garnement. En même temps, l’ensemble des « Filmworks » est une œuvre passionnante qui documente les différentes périodes d’une évolution musicale, et avec elle, la fluctuation des musiciens que le compositeur choisit au fil du temps. Ainsi on pourra piocher dans la discographie avec un grand D des albums studios, et trouver dans les allées Bis de la production zornienne, celle des Filmworks, des compléments passionnants, avec les mêmes musiciens et préoccupations musicales. Vous aimez le Big Gundown, Locus Solus, les file cards Spillane-Godard, soit le zorn à cheval entre jazz, impro collective, rock, et no wave new-yorkaise ? Hé bien, rendez vous dans les premières tranches chronologiques des filmworks, mi 80, début 90, pour trouver les mêmes accointances de musique et de casting.
Grosso modo, les premières années des filmworks sont un peu décousues, à l’image des films très éclectiques pour lesquels sont conçues ces bandes son, mais elles témoignent de la même effervescence, créative et collective, que les œuvres séminales de  Cobra ou du Big Gundown. Ce sont des musiques pour un polar eighties de Walter Hill (FW II), pour des dessins animés japonais (FW VII : Cynical Hysterie Hour (1989-1997)), pour des petits films SM erotico-lesbiens très stylisés (FW IV : S/M + More (1997) et FW VI (1996))… Passé le tout venant des premières commandes, l’écriture se fait un peu moins bariolée comme les films qu’elle accompagne : des documentaires sur des figures artistiques (Maya Deren, Morton Bartlett..), sur l’histoire et les problématiques contemporaines liées à la culture juive, ou encore de petits films de fiction faits par des réalisateurs indépendants. En phase avec le caractère assez intimiste des films, Zorn y affirme une écriture musicale posée, d’un lyrisme plus feutré, lumineuse et contemplative mais parfois dramatique. La musique, même en se pliant à l’exercice des variations thématiques, garde sa propre autonomie une fois dissociée des images. Lieux d’expérimentations et de rencontres à l’origine de multiples formations (Masada, The Dreamers, le trio avec le pianiste accordéoniste Rob Burger…), les FW auront permis à Zorn de développer le versant le plus accessible et mélodique de sa musique, un peu dans la continuité des ensembles acoustiques issus de Masada  (String trio, Bar Khokba), et de se débarrasser progressivement de la frénésie cartoon/jazzcore des débuts. Nombre des projets actuels, inspirés de références mystiques, sont des prolongements plus développés des pistes musicales explorées ici (soit les projets que nous aborderons demain, dans l’épisode #5, avec Rob Burger, Carol Emmanuel et Bill Frisell, Cyro Baptista et Kenny Wollesen).

 

Ub Iwerks, « Sinbad The Sailor », 1935

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A propos de Robert Loiseux

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