Quelques jours avant un concert attendu à la Boule Noire (ce vendredi 26 janvier, avec Dalva) pour y défendre son dernier opus « C’est Beau », Acquin me reçoit dans l’antre de son studio d’enregistrement pour une discussion évoquant tout à la fois son parcours, Daniel Darc, mais aussi son rapport à la création ou encore au sacré…
Tout d’abord une évidence, l’album s’appelle C’est beau. Par ailleurs on note que l’esthétique a toujours eu une place prépondérante dans ton travail. Quel est le moteur qui t’amène vers le Beau ?
C’est vrai que le premier EP s’appelait Les Choix Esthétiques. Je cherchais, je tâtonnais. Dans le premier album qui a suivi, il y avait je pense une esthétique de cave. Là, dans ce dernier album, je pense qu’il y a une esthétique de plein air ou de rez-de-chaussée. C’est quelque chose que je perçois davantage après coup. Le titre C’est beau vient d’un morceau éponyme de l’album, parce que je n’arrivais pas à trouver autre chose. Il fallait un morceaux emblématique. Mais on n’est pas dans une démarche de concept. On ne sait jamais vraiment ce que l’on va dire ou ce que l’on dit. On le comprend après.
Si l’on considère que la forme doit se mettre au service du fond, est-ce que cette règle ne deviendrait-elle pas vraie à partir du moment où on l’oublie ?
Oui certainement. Mais je reviens sur cette idée de ne pas savoir ce que ça va devenir. Je n’ai jamais pu définir quelque chose en amont. C’est à partir d’une note, puis de deux, de trois, ainsi de suite que va se dessiner quelque-chose à mettre en forme après. Je le vois comme ça. Donc si on met en forme après le fond, ça ne collerait pas. En tout cas je le ressens comme ça. Je ne peux rien définir à l’avance, je ne sais jamais ce qui va sortir.
Comment est survenue la rencontre avec Frédéric Lo ?
Il y a longtemps, quand je commençais à faire mes chansons, j’en envoie à un copain avec qui je faisais du théâtre. Il me dit : « ça me fait penser à Daniel Darc ». Moi je ne connaissais pas. En fait, je ne connaissais pas grand-chose en dehors du classique. J’écoute ce qu’il fait et je réalise que c’est vraiment ce que je cherche. Quelques temps après, on commence à travailler sur un album. Thomas, le batteur qui m’accompagne, me dit : « pour faire un album, regarde les réalisateurs des albums que tu aimes bien ». Entre-temps, j’avais découvert Daniel Darc, et Crève-cœur, et moi je ne lisais jamais les crédits. Je retourne la pochette de l’album et je vois une photo de Daniel et de Frédéric. Je vois que Frédéric Lo a tout composé. Je me dis « mais qui est ce Frédéric Lo ? ». La première fois que je le contacte, on est en 2018, je crois. Je le retrouve sur Facebook, je vois qu’on a des contacts communs, ce qui ne veut pas dire grand-chose mais je demande à une copine avec qui j’avais fait un co-plateau si elle le connaît. Elle me dit oui et que je peux toujours lui écrire de sa part. Je lui ai écrit, il m’a répondu. Il m’a dit « envoyez-moi vos chansons ». J’étais tout fébrile. Il me répond « J’ai aimé vos morceaux, rencontrons-nous ». On se rencontre, et puis il vient ici [studio Mastoid] nous écouter jouer. De fil en aiguille on a fait le premier album. De ce premier album, j’avais le sentiment que de toute manière il fallait faire le deuxième avec Frédéric. Il fallait aboutir quelque-chose, aller au bout de quelque chose. Et donc l’origine, c’est ce disque qu’il a fait avec Daniel Darc. Ce sont des chansons que j’ai écouté en boucle en fait. De pouvoir travailler ses morceaux avec quelqu’un dont on a écouté des chansons en boucle, j’étais extrêmement heureux.
A ton avis, quel lien y a-t-il entre vos univers ?
Je ne saurais pas répondre. Je me souviens qu’une fois je lui fais écouter en direct un autre morceau, devant lui. Lui me racontait un vécu similaire, à l’époque, quand il est dans une maison de disque et qu’il lançait la cassette… On s’entendait devant quelqu’un qui écoute. On se dit : « mais qu’est-ce que j’ai pondu comme merde » ! (rires) Et donc il voyait le truc. Alors, je ne sais pas, il y a une affinité… Il faudrait lui poser la question. Je pense qu’il a reconnu quelque-chose d’une esthétique qui lui parlait. Et je ne m’en cache pas du tout, je me réfère à des titres de Crève-cœur comme des œuvres étalon. Il y a un truc archi connu : les variations de Goldberg. A chaque fois que je pars sur un truc, je me dis de ne pas oublier que dans ce truc, il y a deux lignes et elles sont parfaites. Elles sont parfaites et elles sont parfaites. La puissance ne repose pas forcément sur ce que l’on va envoyer, mais sur cette force. Au début il n’y a rien et c’est d’une puissance dingue.
Et donc, tu as une formation classique ? Tu as fait le Conservatoire ?
Oui j’ai commencé tout petit le violon, par la méthode Suzuki, donc sans savoir lire les notes. Après j’ai appris le solfège. Il y a eu l’orchestre, des cours d’harmonie. Et à la maison, il n’y avait pas beaucoup d’autre chose que du classique. Arrivé à 18 ans, je n’avais pas entendu beaucoup de choses. Alors si forcément, indirectement par si par là, mais je ne resituais rien du tout. Et puis, j’ai découvert, par des rencontres, les totems de la chanson Française. Pour l’anecdote, j’étais avec Lucien Gainsbourg au solfège, pendant 5 ans, mais je ne le savais pas ! Un jour, on a nos résultats d’instrument, je prends son truc, je dis « Tu t’appelles Gainsbourg, c’est marrant. Parce qu’en plus Gainsbourg, il a un fils qui s’appelle Lucien ». Il me dit : « bah oui c’est moi » ! Et donc j’ai écouté Prévert, et puis Ferrer, et puis du Brel… Et ça m’a plu. Il y avait Garage Band sur les ordinateurs. Je m’aperçois qu’on peut enregistrer plusieurs pistes. En fait tout petit, j’avais déjà envie de tester ça, je le faisais avec des cassettes. J’avais un micro de merde mais on pouvait enregistrer sur une cassettes, et il y avait deux compartiments de cassette, donc tu pouvais enregistrer un truc de la cassette et ré-enregistrer par-dessus. Je faisais comme ça deux ou trois fois, donc ça faisait un son archi-dégueulasse. Donc le logiciel qui permet de le faire, c’était la découverte. J’ai commencé à faire des chansons en m’achetant une basse à quatre cordes, comme le violon, en me disant que je devrais m’en sortir. La guitare, je n’ai jamais réussi. Le piano, toujours un peu, je n’ai jamais développé le piano. Je sais faire les trucs de base. Donc oui pedigree assez classique à la base.
Le son de C’est beau s’émancipe du classique, c’est assez pop finalement, non ?
Dans le sens où ce n’est pas de l’instrumental ? Du moins pas classique. Enfin il y a toujours de la clarinette et du piano !
Sur cet aspect lorgnant du côté de la pop de ta musique, et ta voix « chanter-parler », est-ce que des gens comme Daho ou Biolay font partie de ton panthéon musical ?
J’ai découvert Biolay après Daniel Darc, à l’époque de Rose Kennedy, Négatif et après celui sur lequel il a commencé à avoir plus de succès, c’était La Superbe. Je suis plus fan du début. Je l’ai vu en concert. Un bon concert est un concert qui te donne envie de faire un concert. Celui-ci m’a donné envie d’en faire un concert. Daho je connais sans connaître. Je m’y suis davantage intéressé là, assez récemment. Ca me parle mais je n’avais pas fait plus attention avant.
Si on revient sur Daniel Darc, tu as fait des reprises de certaines de ces chansons ?
On a fait effectivement une captation, extrait d’une chanson que j’adorais, aussi de Fédéric Lo : Élégie. Pour ne rien cacher, une des chansons du premier album fait énormément référence à cette chanson.
Justement il y a un lien qui apparaît dont je ne sais s’il est conscient ou inconscient, c’est une espère de rapport au sacré. Je pense par exemple au clip de Christine extrait de ton album précédent.
Encore une fois, c’est de l’après-coup, c’est pas voulu. Mais oui. Oui il y a un truc comme ça. Comment, pourquoi, je ne sais pas (rires). Le clip est justement sur cette chanson qui s’enchaîne à Élégie.
Ça m’a rappelé l’artwork de l’album La Taille de mon âme de Daniel Darc, où il est dans une église.
Oui, ce n’est pas pensé par rapport à ça, mais effectivement.
Et donc le rapport au sacré, comment tu pourrais l’analyser ?
Je ne sais pas pourquoi. Je reviens à cette chanson Élégie. Il y a quelque chose de mystique. C’est une réponse à des questions existentielles. Des réponses sensorielles, non pas philosophiques ou physiques. Chercher ce côté mystique, c’est, à mon sens, répondre à une interrogation absolue. Je pense qu’il y a une forme d’art de cette coloration mystique et une autre beaucoup plus humaine, sentimentale. Prenons du Bach, c’est mystique. Chopin, non. C’est l’humain, l’émotion adolescente… Il y a ces deux formes-là et à mon sens. Parfois il y a des chansons qui retrouvent dans cette esthétique là, quand d’autres seront davantage dans l’émotion humaine.
On est peut-être davantage dans ce registre-là dans C’est beau, dans les émotions humaines. L’Amour serait ton sujet principal, voire une pulsion de vie.
De toute façon, et je crois qu’on en parlait, Frédéric était d’accord avec ça, de quoi peut-on parler dans une chanson, sinon de l’amour et de la mort ? Ce sont les deux choses qui nous font. Alors oui, il y a de la chanson descriptive du quotidien, mais ça parle finalement d’autre chose. Ce sont deux thèmes qui nous composent, auxquels on n’échappe pas. On fait des chansons d’amour depuis la nuit des temps, on en fera toujours. Après, il y a toutes ces déclinaisons, que ce soit amoureux, familial, physique… Il y a tout ça.
Et en parlant d’amour, sur le plan physique, malgré une grande retenue, il y a peut-être un sous-entendu – disons – plus sale, non ? Est-ce qu’il y a une sorte d’érotisme qui irait plus loin que ce qui est exprimé dans tes mots ?
Oui mais encore une fois, après coup t’entends des trucs que tu ne savais pas que tu disais.
Je demande toujours s’il y a un lien avec le cinéma. Dans l’album La Taille de mon âme de Daniel Darc, il y a un extrait des Enfants du Paradis. Est-ce qu’il y a des images ou des scènes qui ont pu t’inspirer ?
Je ne suis pas très calé en cinéma. Je vais davantage parler de peinture. Je pense qu’une peinture va presque te donner des sons, et les sons vont te donner une couleur. J’ai l’impression qu’un art essaie de faire ce qu’une autre forme peut faire, sans pouvoir le faire. Pour moi, la musique, il y a quelque chose de très visuel, ce qui ne veut pas dire figuratif. Dans la peinture, tu vois des accords. L’un fait ce que l’autre pense faire.
La pochette de ton album rappellerait presque un poète un peu maudit avec son absinthe au fond de son café à Montmartre début vingtième.
Il faudrait demander à Côme. C’est Côme, avec qui j’ai vécu en colloc’, qui a fait le tableau en écoutant l’album. C’est un portrait. Certains pensent que ça ne me ressemble pas, moi je trouve que oui. On y retrouve les couleurs de l’album.
Cette interview ne serait-elle pas inutile dans le sens où ta musique exprime davantage que tout ce que tu pourrais dire ?
Je pense que de toute façon, une œuvre, une pièce d’art, dit quelque chose qui ne peut pas se dire autrement. Je pense que c’est un lieu de communion possible entre les êtres humains. Ce qui est dit dedans, tu ne peux pas le dire autrement, sinon tu fais un article Wikipédia. En parler, ça peut éclairer, ça peut mettre en relation avec une œuvre. Mais, rien ne pourra se dire autrement, sinon c’est l’œuvre qui n’existerait pas.
Finalement, qu’est-ce qui t’as poussé à composer ce deuxième album ?
C’était aller au bout. De quoi ? Je ne sais pas. C’est un truc sans fin. Quand on écrit un bouquin ou n’importe quoi, il y a nécessairement une insatisfaction qui pousse à continuer. Si t’arrivais à faire quelque chose que tu considères comme absolu, ce serait catastrophique. Ce serait figé.
Copyright Frederic Lo & Acquin © Nicolas Comment
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