Itsaso Arana revendique au générique un « film essai ». Et c’est justement à ce commencement que s’arrime la grâce du film. Les filles vont bien regardent avec délicatesse et douceur cinq femmes réunies en plein été dans une maison de campagne pour répéter une pièce de théâtre. Chacune doit endosser son rôle sous la direction de « l’autrice » : elles sont sœurs, il y a l’aînée, la princesse, la sainte et la folle . Mais la beauté du film tient d’abord dans la manière dont ces « rôles » traversent les personnages et mettent à l’épreuve leurs points de vue sur l’amour, l’amitié, l’abandon et la mort. Les femmes alors désirent, rêvent et se questionnent dans une sorte de sororité – « la sororité suppose une réflexivité forte, un effort sur soi » (1) et construisent au fil de leurs conversations, même pleines de doutes, de peurs et de ferveurs, ce “nous” qui leur permettent d’oser dire les choses et de s’affirmer. Les plans séquences, s’ils permettent de passer du temps avec les personnages, sont aussi une façon d’aller vers la mobilité : ils donnent à voir la pensée en mouvement de ces femmes transformées par les matériaux de la création mais aussi par leur mouvement les unes vers les autres.
© Arizona distribution
Ce « nous » s’écrit aussi sur des douleurs partagées, et en particulier liées au deuil. Les filles vont bien porte une image d’un souvenir intime de la cinéaste : celle de toutes les femmes de sa famille autour du lit de son père mourant et de l’attente des jours et des nuits durant de la promesse de sa mort. Aussi cette image devient celle d’un long plan séquence des personnages réunis un après-midi et qui s’interrogent d’abord s’il est possible de jouer ce qu’elles n’ont pas vécu. Leur conversation se déplace alors vers la confidence de leur expérience de la perte, celle d’une mère ou d’un père tandis que la caméra elle s’approche alors de leur visage . Isolées dans le cadre, tour à tour, les femmes donnent à voir les affects qui les traversent. Le plan séquence s’arrête. La nuit est tombée, en plan large les personnages sont à nouveau réunies dans le cadre alors même que les confidences deviennent de plus en plus intimes. Cette mise en scène, d’une extrême pudeur, traduit une disponibilité des personnages à « ne pas oublier les morts qui ( les) regardent avec douceur » (2).
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Et cette disponibilité, c’est ce qui les porte à l’amour et à la vitalité .C’est là que ces femmes deviennent héroïnes de leur propre vie. En écho au conte d’Andersen La princesse au petit pois qui traverse le film, loin d’attendre passivement leur prince charmant, les cinq personnages se muent en princesses qui décident et agissent . Elles révèlent une puissance, une force de caractère, une créativité unique qui leur permet de surmonter les peurs et les doutes. Les répétitions de la pièce de théâtre ne sont pas une fuite dans un ailleurs enchanté, mais s’offrent à elle comme une scène sur laquelle se jouent leurs pulsions, leurs contradictions, leurs affects et les invite à inventer leur propre vie. Leur sensibilité devient le signe de leur noblesse, au fond d’elle-même ce sont de vraies princesses.
La mise en scène, aérienne et évidente, porte cette noblesse . Les comédiennes habitent le cadre sous une lumière toujours très belle et fluctuante, laissant entrer le réel avec douceur. Le choix du Clavier bien tempéré de Bach interprété par Keith Jarrett devient alors l’écho de ce tempérament de la cinéaste comme de ses personnages, ouvrant à toutes les tonalités , tout en gardant des couleurs différentes pour chacune.
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« Ce que l’on peut le mieux jouer est la lutte pour la vie », et Les filles vont bien est une invitation tout en légèreté et profondeur à ne jamais se départir d’un esprit d’enfance, à s’émerveiller et être à cette confiance spontanée que « faire du cinéma » ou voir des films « c’est faire avancer sa propre vie, une façon de se sentir plus vivant dans sa vie »( 3).
(1) Simone de Beauvoir
(2) Itsaso Arana, Dossier de presse.
(3) Itsaso Arana, Ibid.
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