L’éditeur britannique Powerhouse poursuit l’exploration du cinéma de Jean Rollin avec deux œuvres majeures de la seconde moitié des années 70, Lèvres de Sang (1975) et Fascination (1979), qui reflètent la hausse des ambitions du réalisateur.
Lèvres de sang débarque à un moment charnières dans la carrière de Jean Rollin et dans l’histoire de l’exploitation du cinéma bis. La multiplication des salles spécialisées destinées au cinéma X rend la distribution de films érotique softs obsolète aux yeux de nombreux producteurs. Dans un tel paysage, le cinéma hybride de Jean Rollin ne peut provoquer chez un public friand de chair fraiche plus que de poésie éthérée qu’une impression de tiédeur. C’est de cette atmosphère qu’a dû pâtir Lèvres de sang, émouvant récit d’un homme adulte en quête d’un souvenir d’enfance, sur les traces d’un premier amour qui n’est autre qu’une créature de la nuit persécutée par une secte de chasseurs de vampires. Sans ambiguïté, Rollin se place et nous place du côté des vampires, en faisant de l’amoureux Jean-Loup Philippe son avatar dans le récit. On reconnaîtra dans cet itinéraire nocturne le schéma du superbe roman Coraline-Laurence dans le recueil Rien n’est vrai… et on regrettera que Lèvres de sang, même nanti d’une affiche follement décadente, ait échoué à séduire un plus large public.
Sous la pression d’un circuit en pleine mutation, Rollin accepte de tourner des inserts pornographiques pour assurer une seconde distribution du film renommé Suce-moi, vampire, réalisé par un certain Michel Gentil, qui s’avèrera financièrement plus intéressante, mais artistiquement désespérante. La perspective d’allier l’attrait commercial du porno et la démarche artistique qui l’anime semble pourtant envisageable pour Jean Rollin. Déjà auteur non-avoué de plusieurs films érotiques, Rollin décide de s’atteler à son premier film pornographique dont il revendique l’entière paternité, irrigant Phantasmes (1975) de toutes les thématiques et de toutes les qualités esthétiques de ses films fantastiques. Malheureusement l’expérience n’est pas un succès et Rollin se contentera dès lors de faire « la même merde que tout le monde » dans le domaine de l’explicite sous le pseudonyme de Michel Gentil. Lèvres de sang devient dès lors l’exemple malheureux et manifeste d’une ligne directrice dans la filmographie du réalisateur qui sépare désormais drastiquement son œuvre de son travail alimentaire dans le circuit pornographique.
Fascination quant à lui nous plonge dans une ambiance belle époque feutrée, aux arômes capiteux d’une sensualité que n’aurait pas reniée Robbe-Grillet. Bercée par la valse lente de Philippe d’Aram, la scène d’ouverture nous présente Brigitte Lahaie et Franca Maï dansant au son d’un antique gramophone sur le pont d’un petit château. Rollin renoue ici avec le surréalisme d’un Paul Delveaux mais pour quelques instants seulement, versant par la suite dans un classicisme désarmant aux yeux de ceux qui s’attendraient à retrouver l’onirisme et l’étrangeté de films précédents tels Le Frisson des Vampires ou Les Démoniaques. Dans la mouvance des Raisins de la mort, succès commercial inédit du fait sans doute de sa soumission à de nombreux codes du genre, rassurant les spectateurs, Rollin s’attache à suivre une narration déterminée et abandonne le « fil de la plume » qui dictait jusque-là son écriture. Demeure l’esthétique et l’atmosphère, bénéficiant d’une production beaucoup plus riche en apparence que tout ce que Rollin a pu s’autoriser auparavant.
Suppléments pour Lèvres de Sang
- Commentaire audio de Stephen Jones et Kim Newman
- Commentaire audio sélectif de Jean Rollin
- Introduction au film par Jean Rollin (1993, 3mins)
- Living Memories (2023, 10mins) : montage d’entretien d’archive avec Jean Rollin
- This Beach that follows me (2005, 25 mins) : Jean Rollin revient sur la présence de la plage de Pourvil-les-Dieppe dans ses films
- Fantasy Life (2023, 16 mins) : Entretien avec Jean-Loup Philippe
- Early Impressions (2023, 11 mins) : Entretien avec Serge Rollin
- Sibling Rivalry (2023, 11 mins) : Entretien avec Cathy Castel
- Exceptionnal Poetry (2023, 11 mins) et Petite Mère (2023, 10 mins) : Entretiens avec Natalie Perrey
- Buried Dreams (2023, 9 mins) : Analyse du film par Virginie Sélavy, historienne du cinéma
- Livret de 80 pages comprenant une analyse de Lèvres de sang ainsi que de Suce-moi, vampire par Maitland McDonagh
Disponible en Blu-Ray chez Powerhouse.
Suppléments pour Fascination
- Commentaire audio de Jeremy Richey
- Introduction au film par Jean Rollin (1998, 2 mins)
- Rituels (2023, 8 mins) : Making of réalisé par Daniel Gouyette et comprenant les interventions de Natalie Perrey et Brigitte Lahaie
- The Music of Fascination (2023, 20mins) : Entretien avec le compositeur Philippe D’Aram
- Love like blood (2023, 7mins) : Analyse du film par Virginie Sélavy
- Scènes alternatives pour public averti
- Eurotika ! Virgin and Vampires (1999, 25 mins) : Documentaire de référence consacré au cinéma de Jean Rollin, dirigé par Andy Starke and Pete Tombs
- Livret de 80 pages comprenant la nouvelle de Jean Lorrain ayant inspiré Fascination ainsi qu’une analyse du film par Vanessa Morgan
Disponible en Blu-Ray chez Powerhouse.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).