Le festival War on Screen a lieu chaque année sur la première semaine d’octobre à Châlons en Champagne. Comme son nom l’indique, l’événement s’intéresse au traitement de la guerre au cinéma. Voici quelques mots de chacune des séances auxquelles j’ai eu la chance d’assister.
Jour 4 – 8 octobre
C’est au son du Tambour que démarre cette dernière journée de festival. Co-Palme d’Or à Cannes en 1979 (réelle celle-ci, par opposition à celle d’Apocalypse Now de Coppola, résultat d’une tractation), l’œuvre de Volker Schlöndorff a fait long feu. Si le point de vue du grotesque est aujourd’hui toujours défendu par le réalisateur Allemand, sa pertinence est devenue plus discutable avec le temps. En Pologne juste avant la guerre, sur fond de montée du nazisme, le jeune protagoniste met en scène un accident le jour de ses trois ans et décide d’arrêter de grandir, refusant le monde des adultes. Il hurle et brise le verre à distance à chaque fois que la réalité le percute, conduit à sa perte le trio parental et bien sûr ne se sépare jamais de son tambour. Par le truchement de son objet fétiche, il induit des perturbations, poétiques ou destructrices, dans le monde extérieur, dont on ne sait pas bien s’il s’agit des fantasmes du réalisateur – comme une revanche sur l’Histoire – ou de simples prétextes scénaristiques. Les saynètes s’enchaînent, partageant le spectateur contemporain entre amusement (le Danube Bleu lors du rassemblement nazi), gêne (voire un véritable malaise lorsque la sexualité du protagoniste est abordée : si le personnage est en pleine adolescence, l’acteur quant à lui reste un enfant) ou dégoût (la fameuse tête de cheval farcie d’anguilles). Considéré comme une œuvre majeure en son temps, son dispositif peine à convaincre aujourd’hui et c’est un sentiment mitigé qui prédomine. En restant enfant, le jeune tambour refuse la moindre responsabilité et participe à la grossière absurdité qui l’entoure. A rebours de la dénonciation affichée par son auteur, peut-on comprendre l’œuvre comme une manière de dédouaner cette génération d’Allemands, adulte au moment du nazisme, qui n’aurait fait que s’adapter à l’Histoire en marche ? Schlöndorff truffe son film de concepts tous plus psychanalytiques les uns que les autres. L’enfant se montre exclusif avec sa mère, ou encore conduit ses deux pères à la mort. L’un est supposé son père biologique, l’autre l’est légalement. La paternité de l’enfant se partage donc entre le résistant Polonais amoureux transi de sa mère (dont il est jaloux, donc) et l’Allemand nazi garant d’une certaine stabilité (avec qui une rivalité apparaît lorsqu’un nouveau personnage féminin viendra se substituer à la mère). Ces exemples déclenchèrent à coup sûr un émoi dans les années 80, mais paraissent aujourd’hui bien gratuits. Convoquer Freud semble vain tant l’auteur échoue lui-même à tuer le père, son lyrisme grotesque demeurant impuissant à comprendre et traiter réellement ce pan d’Histoire.
La journée continue avec la projection du très étrange The Survival of Kindness, film Australien de Rolf De Heer. Le spectateur se retrouve ici engagé dans une véritable expérience, à la frontière du surréalisme, puisque l’écriture du film repose sur quelques fondements du courant éponyme. En effet, le film est construit comme une juxtaposition d’associations d’idées, sans que l’auteur n’y apporte aucune signifiance. Pour faire un parallèle avec le film précédent, il est amusant de noter que le processus créatif de The Survival of Kindness renvoie aussi la psychanalyse. Dans l’échange en visio qui suivra la projection, De Heer dira être baigné par le contexte du tournage (en plein COVID) et des événements aux États-Unis à ce moment-là (Black Live Matter). Cela imprègne littéralement le film (les masques à gaz réservés à une caste dirigeante, un virus qui circule, la protagoniste masquant sa couleur de peau sous un maquillage blanc…). Celui-ci ne propose pas de réflexion par rapport à ces questions, mais donne à voir des visions aussi cauchemardesques qu’esthétiques. Parmi les idées folles qui parsèment le film, l’une d’elle fait appel au mythe de la tour de Babel, dont la malédiction se serait peut-être ré-abattue. En effet, très peu de paroles sont échangées entre les personnages, et quand c’est le cas, les dialogues se font dans des langues inventées, propres à chaque protagoniste. Ainsi, ils ne peuvent jamais se comprendre ; le spectateur est mis dans la position de devoir interpréter les mots prononcés. C’est probablement là que réside la puissance du film : dans une capacité a être perçu de manière très singulière suivant celui qui le regarde. La fin, par exemple, est totalement sujette à interprétation et conduit le spectateur à recréer son propre film, lequel permettrait peut-être de fournir une certaine signifiance à l’ensemble. Malheureusement, n’a pas le génie d’un Lynch qui veut. Si une certaine sidération fonctionne très bien dans les premières scènes, la revendication de la nature symbolique du voyage effectué par la protagoniste (enfermée dans une cage et abandonnée au milieu du désert, elle parvient à s’évader et démarre une véritable Odyssée) constitue un piège. Le personnage avance, fait des rencontres, escalade des montages, dans un schéma linéaire qui finit par manquer d’enjeux, les plus triviaux d’entre-eux étant volontairement écartés. A l’instar du personnage, le spectateur finira par renoncer.
Le festival se conclura de manière un peu irréelle, rattrapé par l’actualité au lendemain de l’attaque terroriste du Hamas sur Israël. La guerre fait brutalement irruption dans les murs de la Comète, soulignant à la fois la pertinence, voire même son absolue nécessité, de l’événement et paradoxalement sa vacuité. Dans un échange avec Olivier Lorelle que nous avions eu la veille, le scénariste, réalisateur et membre du jury soulignait la manière dont le conflit était une véritable source pour nourrir les histoires intimes. Notre échange sur la représentation de la violence à l’écran soulignait d’ailleurs les responsabilités qu’ont les auteurs de fiction dans leurs choix de mise ne scène. « Le problème c’est qu’à partir du moment où elle est vraiment montrée, telle quelle, on passe au spectacle. On fait comme les Américains, on prend le parti pris du spectacle. […] Si je ne suis pas pris par le grand spectacle de la violence, si on essaie d’être réaliste, moi je vois tout de suite l’acteur et la mise en scène, je vois bien que ce n’est pas vrai. Ca a un peu l’effet inverse de ce qui est recherché. La violence est même dans les choix avant, si le personnage va tuer ou pas. Ce n’est pas l’acte lui-même, c’est de voir la personne qui doit mourir, c’est là où on sent la violence. » confiait alors le scénariste d’Indigènes.
Face à un déferlement d’images rivalisant d’horreur et de barbarie, parfois fausses et souvent instrumentalisées, qui envahiront les réseaux sociaux dans les jours suivants, le rôle du cinéma apparaît à l’aune des films présentés dans le festival dans sa capacité à délivrer une part de vérité.
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