Si ma participation à l’aventure Culturopoing m’apporte gloire et satisfaction personnelle, je n’en reste pas moins un être de chair devant pourvoir à des besoins tristement matériels. Et puisque la faim justifie les moyens, je suis ce que l’on peut appeler IRL un travailleur social.
À ce titre, je côtoie chaque jour des personnes heurtées par la vie, parfois complètement perdues, souvent magnifiques de résilience. Et ce goût des autres est parfaitement corollaire à ma curiosité culturelle, curiosité s’exprimant en grande partie dans cette pratique intensive du JV que j’ai développée et qui me pousse à vous écrire (plus ou moins) régulièrement dans ces colonnes dématérialisées. Faire part de mes expériences, tendre l’oreille à celles des autres, goûter et comprendre les mécanismes régissant une œuvre artistique – œuvre sublimant l’expérience d’une vie qu’en a son auteur, précipitant dans toute sa nudité son point de vue (bon, ça, c’est bien évidemment dans sa forme la plus pure, débarrassée autant que faire se peut de considérations matérielles).
Un bien long et pompeux préambule , pensez-vous (puisque vous êtes chafouin), pour simplement poser le décor de mon expérience avec ce Psychonauts 2, suite directe du jeu du même nom sorti il y a désormais 16 ans – une éternité dans le monde du JV – et conçu déjà à l’époque par un génie foutraque du nom de Tim Shafer. Mais vous allez comprendre. Tout fait sens. Un peu.
Le jeu s’ouvre sur un carton d’avertissement prévenant que son propos évoque ouvertement les troubles mentaux et qu’il n’est pas conseillé à tous. L’avertissement précise toutefois que c’est bien un jeu sur l’empathie et la guérison. On peut croire que le studio en fait trop ici, chargeant de lourdeur un JV qui s’avance pourtant sous la forme d’un jeu de plate-forme coloré et plein d’humour, et que l’on destinerait donc volontiers à un public enfantin, fan de Sonic et Mario, plutôt qu’à celui de Red Dead Redemption 2 et Cyberpunk 2077 (même si, bien sûr, on peut aimer Mario ET Cyberpunk 2077. Mais vous m’avez compris. Arrêtez d’être chafouin, que diable!).
Rien n’est moins faux que ce ciblage ‘jeune public’ – on ne juge pas un livre à sa couverture, rappelons-le – puisque Psychonauts 2, s’il s’adresse aux grands enfants (dont je fais parti), est un jeu d’une maturité et d’une profondeur rares. On y parle de l’abandon sous toutes ses formes, des regrets que l’on nourrit, des reproches que l’on fait au monde, de nos manquements, des fuites que l’on orchestre pour ne rien assumer, de la non-acceptation de soi. On y croise des êtres à la psyché brisée en plusieurs morceaux, et l’on part littéralement en quête de ces morceaux, avec la volonté d’aider à reconstruire l’autre, mais aussi soi.
C’est très étrange de dire les choses ainsi – car ce n’est clairement pas une spécificité des jeux de plate-forme -, mais le scénario de Psychonauts 2 est tout simplement fantastique. L’histoire en elle-même est une véritable saga ponctuée de twists surprenants qui ne prennent jamais en défaut la cohérence du récit : tout est justifié, au service du propos. Chaque personnage croisé parvient à exister en une poignée de secondes et aucun ne sert de faire-valoir. Mieux : les relations entre tous ne cessent, au cours de la vingtaine d’heures que dure le jeu, de se découvrir, d’évoluer. L’écriture du titre est bluffante de maîtrise, et si l’on reconnaît bien la patte de Tim Shafer, son thème fétiche (l’acceptation de soi) ainsi que son humour joliment absurde, jamais il n’avait atteint une telle qualité polyphonique.
De plus, si l’on fait la somme d’idées folles, en matière de trouvailles esthétiques, que propose le jeu, cela relève véritablement du tour de force. J’ai souvent pensé au Tim Burton de Beetlejuice, mais en surrégime pendant 20 heures, c’est dire. On y retrouve un même jeu sur les échelles de grandeur, sur les juxtapositions de dimensions, sur des mondes plus ou moins parallèles, et de l’exubérance en permanence, mais toujours au service d’un caillou d’humanité insoluble dans le délire ambiant.
Et l’on touche là à l’autre grande qualité du titre : si, en termes de strictes mécaniques de gameplay, le jeu n’invente rien (on court, on saute, on donne des coups, on utilise une poignée de pouvoirs spéciaux, le tout à la troisième personne dans un environnement 3D), son level design, lui, se renouvelle sans cesse, proposant des environnements tous plus fous les uns que les autres (mentions spéciales au festival psychédélique d’Helmut et au triple monde de Cassie O’Pea…).
Prenant appui sur l’idée que chaque stage parcouru est le paysage mental plus ou moins dévasté d’un personnage de l’histoire, le jeu se permet d’être un Wonderland en multivers, renouvelant le plaisir de la découverte et de l’exploration à intervalles réguliers. C’est brillant, en permanence, d’autant plus que le level design s’amuse à faire appel, selon les stages traversés, à différentes mécaniques, proposant ici et là de petites énigmes environnementales nous obligeant à utiliser nécessairement la moindre option d’action à notre disposition.
J’en reviens à mon long préambule. Si j’évoquais ainsi ma condition IRL, c’est parce que ce jeu, aussi délirant soit-il, m’a irrémédiablement renvoyé à qui je suis. J’ai rarement eu autant de proximité avec un héros de fiction, pour tout avouer. Je veux dire… Je suis ce petit Razputin qui aura fui sa famille, se sera perdu en cours de route, aura tenté de réparer les autres pour se réparer soi, pour au final comprendre, un peu, que tout se tient, un peu. Que chacun a sa part d’ombre, que l’on doit l’accepter, que l’on doit s’accepter. Et je parle de cela ouvertement parce que je suis convaincu que la grandeur de Psychonauts 2 n’est pas de s’adresser à moi, mais que tout un chacun peut s’y projeter et apprendre, acter quelque chose sur soi.
Psychonauts 2 est un jeu qui répare et prend soin du moindre joueur qui osera s’y plonger en baissant sa garde, en tombant le masque. Que ce JV le fasse avec une telle fantaisie, dans un énorme éclat de rire, est sa grande élégance. Ce n’est pas un pensum façon Life Is Strange, en somme (cet article manquait de vacheries. Voilà, c’est fait). Note finale : résilience/20.
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