J’aurais voulu être une artiste…
Après l’avoir montée il a plus de 10 ans avec des acteurs et actrices néerlandais, Ivo van Hove propose au public francophone une actualisation de son diptyque « Après la répétition / Persona » dans laquelle les relations théâtrales sont disséquées à l’aune des affinités personnelles. Une proposition intéressante, mais trop anecdotique pour marquer.
Le metteur en scène belge Ivo van Hove ne cache pas son admiration pour Ingmar Bergman qu’il considère comme un « maitre ». En reprenant les 2 textes de l’auteur et cinéaste suédois « Après la répétition » (1984) et « Persona » (1966), il propose une réflexion contrastée sur les métiers du théâtre et les liens qui unissent comédien·nes et metteur·ses en scène d’une part à la création d’autre part. Articulées autour d’une entracte, 2 visions très différentes de l’acte de création s’incarnent dans 2 mises en scène que tout oppose (le réalisme du huis clos pour Après la répétition et l’espace mentale froid et symbolique par le décor extérieur de Persona).
Espace de répétition…
Dans Après la répétition, les spectateurs et spectatrices font la connaissance d’Henrik Vogler (Charles Berling), un directeur et metteur en scène quinquagénaire exigeant pour lequel le théâtre est central et vaut pour réalité. Très vite on prend conscience que le personnage n’est défini que par ses créations et les interprètes (notamment féminines) qu’il dirige.
« Dans la pièce, il est pour ainsi dire enfermé dans la salle de répétition : il y dort, il y mange, il y vit. Il considère toutes les pièces qu’il a faites comme des fragments successifs de sa vie. Son œuvre est purement et simplement son autobiographie. Il vit ainsi, dans ce monde d’illusions, comme si c’était la réalité. Pour lui, le théâtre, c’est la réalité », Ivo van Hove (dossier de presse).
« Diriger » n’est d’ailleurs pas un terme anodin tant l’emprise que le metteur en scène semble avoir sur les comédiennes qu’il accompagne est palpable, le désir de théâtre se brouillant très (trop) facilement avec celui plus ambigu, voire charnel, qu’il entretient avec ses interprètes. Le jeu et la disponibilité des comédiennes sont ainsi intimement liés à la relation délétère plutôt qu’égalitaire qu’elles entretiennent avec le metteur en scène. Le rapport de force est ici omniprésent : il s’agit bien de séduire le metteur en scène pour que ce dernier nous fasse jouer, de cultiver cette tension pour durer dans le métier.
Il y a dans un premier temps Anna (Justine Bachelet), jeune comédienne qui vient de décrocher le rôle d’Agnès dans la pièce Le songe d’August Strindberg mise en scène par Henrik. Ayant perdu son bracelet, elle revient dans la salle de répétition dans laquelle elle retrouve le directeur. S’en suit un dialogue ambigu sur l’interdépendance liant metteur en scène et interprète. Il est question de combat, de meurtre, en d’autres termes de la négation inéluctable de l’un au profit de l’autre.
« HENRIK_ Un metteur en scène peut tuer un comédien, ça arrive, ce n’est pas si rare, mais un comédien peut aussi tuer un metteur en scène. Tu ne crois pas, dis-tu, que je crois en toi, Anna Egerman. C’est la plus grosse bêtise que je t’ai entendu dire depuis le début des répétitions. Tu dis que tu pleures, mais moi je dis que tu pleures avec volupté. Tu sais qu’il se passe quelque chose en toi : une nouvelle structuration de tes potentialités. Ça se passe d’une manière à la fois pratique et rude, et alors, oui, ça peut faire mal, n’empêche que ça te plaît et que tu en éprouves de la satisfaction. Quand nous parlons de notre travail en dehors des répétitions, tu es bien plus mauvaise comédienne que lorsque nous travaillons sur la scène. Débarrasse-toi de la comédienne privée, elle gêne l’autre, la vraie comédienne, et barre le chemin à des impulsions qui ne peuvent te servir sur scène », Après la répétition, Ingmar Bergman.
Se superpose à cet échange et comme dans un rêve (la pièce débute d’ailleurs par le réveil d’Henrik) un flashback entre Rakel (Emmanuelle Bercot) la mère d’Anna également comédienne, et le metteur en scène. Venue reconquérir Henrik, l’actrice éméchée se plaint de ne pas avoir obtenu de rôle important dans sa nouvelle création. On comprend vite que le désir n’habitant plus Henrik, ce dernier ne peut plus travailler avec Rakel, la condamnant de fait à l’anonymat. Ce flashback laisse entrevoir l’avenir d’Anna comme une épée de Damoclès, une sorte de prophétie autoréalisatrice de laquelle la jeune comédienne devra se défaire.
… contre espace mentale.
Si Henrik Vogler semble prôner l’idée selon laquelle le théâtre doit faire corps avec la réalité au point de brouiller les frontières, le sort d’Elizabeth Vogler (Emmanuelle Bercot) semble s’opposer physiquement à cette vision. En proie à un épuisement insurmontable en pleine représentation d’Electre, Elizabeth n’a plus prononcé un seul mot depuis des semaines. Plongée dans un mutisme proche de la catatonie, le corps médical propose à la comédienne de s’isoler au calme en présence d’Alma (Justine Bachelet), une jeune infirmière. Se tisse alors entre les deux femmes une relation étrange et volontairement surréaliste, le flot de paroles d’Alma contrastant avec le silence d’Elizabeth.
Pour marquer une rupture franche avec la séquence d’Après la répétition, le metteur en scène Ivo van Hove bouleverse la scénographie du huis clos précédent qui nous donnait à voir l’espace réaliste et confiné d’une modeste salle de répétition, pour montrer ici un environnement extérieur froid, vaste et symbolique, dépourvu de frontières tangibles (à l’exception d’une arrière-scène à la porte fermée allégorique).
Les mises en scène d’Ivo van Hove sont toujours étonnantes, et une fois encore, il stupéfie le spectateur avec une pirouette scénographique inattendue et explosive. Posées sur un ilot central encerclé par ce que l’on imagine une piscine, les 2 comédiennes évoluent comme enfermées dans une sorte d’espace mentale symbolisant tout à la fois l’état psychique de la comédienne que l’état géographique des deux femmes isolées par la force des choses sur l’île de Fårö.
L’opposition entre les 2 parties du spectacle ne s’arrête pas au décor ni au propos, puisqu’à la musique diégétique de la première partie (la musique provient du transistor posé dans la salle de répétition), le metteur en scène diffuse plusieurs titres extradiégétiques (Fever Ray, Hildur Guðnadóttir, etc.) lors de la seconde, renforçant l’opposition entre rêve et réalité.
Ces dispositifs échouent cependant à lier entre elles les deux propositions qui peinent à faire corps. Le public est ainsi témoin d’une présentation déséquilibrée que le talent des interprètes ne parvient pas à redresser.
A découvrir jusqu’au 24 novembre au Théâtre de la Ville (Paris).
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).