Argument ne convainc.
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Changement de cap avec Argument. Nous sommes ici confrontés à une joute, de celle qu’affectionne tout particulièrement le metteur en scène Pascal Rambert. On se souvient encore avec émotion de cette bataille grandiose qui opposait Stanislas Nordey à l’exceptionnelle Audrey Bonnet, Clôture de l’Amour, spectacle splendide sur la fin sacrificielle d’un amour. Ici, si les règles sont communes, leurs expressions changent du tout au tout.
En premier lieu, il ne s’agit plus ici de disserter sur l’amour mais plutôt de réfléchir à cette place concédée à la jalousie et aux enjeux qu’elle sous-tend et cela pour les deux parties. De celle qui a fauté à celui qui découvre tout, qui est le plus à plaindre ? Qui est le menteur, le bourreau ? Qui manipule qui ?
Mais plus que le sens, c’est la forme et le contexte qui s’écartent des habituels duels « rambertiens ».
« Cacheuse vous êtes une cacheuse
Le médaillon était dans la corbeille enfoui dans vos oreillers de lin je viens de le saisir
Faisait-il bon le regarder ?
Vous pâmiez-vous devant quand j’avais le dos tourné ?
Le leviez-vous au ciel comme on lève l’hostie avant de l’avaler ?
L’avaliez-vous ?
Le faisiez-vous descendre en secret dans ce pays moite inaccessible à moi et le manœuvriez-vous manœuvriez-vous l’avez-vous manœuvré manœuvrez-vous manœuvrez-vous ? », Argument, Pascal Rambert (Editions Les Solitaires Intempestifs).
En situant son drame au temps de la Commune et en y faisant s’y opposer deux époux bourgeois déchirés par une histoire de médaillon et d’infidélité, Pascal Rambert tisse la toile d’une tragédie puisant tout son suc dans les récits Balzaciens du XIXe siècle. Le Lys dans la Vallée n’est pas très loin tout comme les romances Stendhaliennes. Le drame intime devient Histoire, chacun résonnant au son de l’autre. Ici, Louis incarne le patriarche conservateur, Annabelle, la « belle Annabelle », la rebelle instruite.
« Je ne fais évidemment pas ici une pièce historique. Le couple, comme beaucoup a quitté Paris pour la province au début de la Commune, lui, Louis, avec des convictions de bourgeois réactionnaire, un chef de famille avec des valeurs. Elle, Annabelle, plus rebelle, lit, écrit : ce qui fait peur aux hommes », Pascal Rambert à propos d’Argument, propos recueillis par Marie-Christine Vernay (2014, dossier de presse).
Au milieu de ces deux personnages oscillants dans les landes brumeuses de l’histoire, il y a l’enfant Ignace. Énigmatique, il symbolise le monde en marche et l’avenir.
« Quant à lʼenfant, il me touche. Il est lʼexpression de la façon dont les enfants sont manipulés, dirigés par nos propres affects. Quʼest-ce que lʼon inscrit dans la chair de nos enfants ? Jʼai eu la chance dʼavoir une enfance sans problème. Mais si le manque d’amour est une torture parfois l’inverse tue plus sûrement », Pascal Rambert à propos d’Argument, propos recueillis par Marie-Christine Vernay (2014, dossier de presse).
Si cette manière de tendre un miroir entre le couple et l’Histoire de France avec un grand H traduit un renouveau certain dans l’écriture de l’auteur et metteur en scène, l’écriture en elle-même en revanche frise parfois avec une certaine forme de caricature du savoir-faire si particulier de Rambert.
« Vous êtes comme eux un chien jaloux, un notaire sur son bien un propriétaire terrien visitant les bornes de son champ je ne suis pas une génisse dans un pré je ne vous appartiens pas mes rêves n’essayez pas d’y accéder », Argument, Pascal Rambert (Editions Les Solitaires Intempestifs).
Verbeux, parfois trop illustratif, le texte sombre en effet malheureusement bien souvent dans l’énumération pure et simple, semblant combler le vide d’un propos qui parfois s’étend de trop.
« Parfois les libellules passent. Ce sont des traces bleues dans le silence arrogant de la nuit. Bourdons. Hannetons. Cicindèles. Lucarnes cerfs-volants. Cétoines. Syrphes. Tipules. Paons de nuit. Zygènes. Naïades aux yeux bleus. Chrysopes. Ascalaphes. Perce-oreilles. Cicadelles. Cigales. Cercopes sanguins. Gerris. Notonectes. Phryganes. Ephippigères. Grillons. Œdipodes. Osmies cornues. Ephémères. Ichneumons. Chrysides. Louis s’approche de chacun d’eux, les renifle », Argument, Pascal Rambert (Editions Les Solitaires Intempestifs).
Qu’il s’agisse des listes d’insectes, de tissus et de broderies, Pascal Rambert accumule les catalogues comme un effet de style tant et si bien que le procédé finit par agacer. De plus, en ne le faisant apparaître qu’au milieu de la pièce, la méthode semble plus un tic d’écriture qu’un effet assumé. On retrouvera ce procédé plus discrètement dans l’utilisation incessante des synonymes au sein de la même phrase comme pour l’allonger . Il y a aussi cette négation (« je ne viendrai vous me faites peur ») qui disparaît et réapparaît en cours de route sans vraiment qu’on en comprenne l’intérêt. Résiste ainsi l’impression d’un texte imprécis, comme pas fini… Ce n’est pourtant pas le pire…
De la même façon qu’il finissait « Répétition » avec un long monologue un brin fadasse, Pascal Rambert surligne de trop le féminisme pourtant subtil et pertinent de sa pièce par une longue harangue ridicule donnée face public, les bras tendus vers les « filles futures » censée porter le message de liberté d’Annabelle.
« Les filles futures les filles futures arrivent les filles futures vont pulluler sur la terre elles vont recouvrir comme on bâche le fumier vos injonctions vos interdits vos menaces votre chantage vos badines vos fouets vos obligations vos coups de poings sur la table », Argument, Pascal Rambert (Editions Les Solitaires Intempestifs).
Ce faisant, Pascal Rambert creuse et tire par le bas toute la subtilité qu’il s’était pourtant échiné à bâtir avec pertinence auparavant. A grands coups de poncifs insipides – « La mort est un théâtre » – il clôt la pièce en enfonçant des portes ouvertes, laissant une impression presque gamine. Dommage.
Concernant la mise en scène, une nouvelle fois, c’est la déception tant Pascal Rambert emprunte à d’autres, qu’il s’agisse de Claude Régy ou bien encore de Joël Pommerat, dont il calque presque intégralement l’installation de « Thanks to My Eyes« . Les interludes, récités par Denis Podalydès dans un noir complet, n’y suffisent pas tant ils nous rappellent quant à elles, la poétique proposition « Rester Vivant » d’Yves-Noël Genod autour de Charles Baudelaire et elle ausi donnée dans le noir… Vous l’aurez compris, rien de bien nouveau, malheureusement.
Pourtant, il y a quelques moments de grâce dans Argument, notamment portés par l’interprétation impeccable de Marie-Sophie Ferdane, qui trouve ici un rôle à la mesure de son talent de grande tragédienne. Magnifique et toute en émotion, elle galvanise littéralement l’auditoire.
Argument n’a, pardon, finalement pas les arguments que l’on aime chez Pascal Rambert. Est-ce grave pour autant ? Non. L’homme a du talent, l’a montré. Il le prouve ici encore par moment, sur la lande, même s’il se perd en chemin en s’enlisant dans la tourbe Normande.
A découvrir jusqu’au 13 février 2016 au T2G, Théâtre de Gennevilliers.
Du 29 au 30 mars 2016 à la Comédie de Caen.
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