Aucune famille n’est à l’abri d’un coup de théâtre.

Le projet présenté actuellement au Théâtre des Bouffes du Nord a pour origine un travail orchestré à partir de 2002 par la C.A.F et le C.D.N. de Caen. À partir d’échanges entrepris avec les habitants d’une cité d’Hérouville-Saint-Clair et les différents intervenants sociaux de la Caisse d’Allocations Familiales du Calvados, Joël Pommerat décide d’écrire  « Cet Enfant ».

« Les paroles entendues lors d’échanges, de rencontres ou de discussions, émouvantes et parfois violentes, appartenaient au registre de l’intime et non du spectaculaire.  J’ai donc décidé d’écrire un texte inspiré d’une vision propre et de lecture de nombreux auteurs, dont certains de théâtre. Ce que j’ai écrit et que nous avons mis en scène n’est donc pas la retranscription de paroles entendues ni inspiré directement d’elles, comme cela a été souvent repris dans les commentaires sur ce spectacle. Une ou deux de ces scènes seraient plutôt des hommages ou des clins d’œil adressés à des personnes en particulier qui s’étaient confiées à nous », Joël Pommerat, à propos de Cet Enfant.

Ce travail aboutira à une tournée dans différentes CAF ainsi qu’au CDN de Caen en 2003 sous le titre Qu’est-ce qu’on a fait ? pour finir remanié et développé en 2006 jusqu’au spectacle actuel qu’est Cet Enfant.

Cet Enfant 2

(c) Fredkhin

 « La femme_ Je vais enfin pouvoir me regarder dans la glace / chaque matin je vais trouver la force de me lever. Je vais trouver la force de prendre enfin ma vie à bout de bras / il va me donner de la force cet enfant / je vais montrer aux autres qui je suis/ je vais montrer aux autres que je suis pas ce qu’ils croient / je vais montrer à mes parents que je ne suis pas ce qu’ils pensent / je vais montrer à ma mère qu’elle a eu tort de ne pas me faire confiance / mon enfant il va être heureux / ce sera même un enfant plus heureux que la moyenne des enfants  […] parce que je ne laisserai pas mon enfant être triste / mon enfant il n’aura pas une mère qui lui répond tout le temps “t’as vu le prix que ça vaut ça!?”/ il sera gâté mon enfant / les autres enfants seront même jaloux de voir à quel point il est gâté » Joël Pommerat, Cet Enfant (Actes Sud Papier).

Sur scène et comme pour La Réunification des Deux Corées, s’enchaînent différentes situations sans véritables liens. C’est une mère qui accapare son enfant alors que celui-ci s’apprête à rejoindre l’école, c’est un père surpris par le vouvoiement de sa fille ou bien encore une mère qui s’en va reconnaitre le corps de son fils mort d’une overdose. C’est avant tout le lien parents/enfants que nous raconte l’auteur et metteur en scène avec cette dose de noirceur et de cynisme qui le caractérise. En effet et comme bien souvent chez Joël Pommerat, le texte laisse peu de place à l’optimisme et à la légèreté même s’il est distillé dans Cet Enfant une certaine forme d’humour au travers de comportements surréalistes venus jouer les contrepoints  salvateurs.

Sont ici disséquées différentes notions tels la reconnaissance, l’atavisme, le désamour, la projection de soi…, toutes ces choses qui forment et forgent la relation si particulière qui unit parents et enfants. En prenant le parti de détailler la gangrène de ce lien, Joël Pommerat dresse le constat d’une famille malade, sclérosée par la société, l’économie et le regard d’autrui. On ne sait plus dire « je t’aime » et, même lorsque l’amour est présent, il semble s’éloigner de ce qu’il devrait être, corrompu qu’il est par les préoccupations du quotidien. Le texte écrit dans une simplicité du mot et une économie d’effets permet une identification immédiate et s’avère terriblement percutant.

Au niveau de la mise en scène, une nouvelle économie est démontrée dans le travail des lumières et l’intervention sporadique d’un orchestre tout en ombres portées en fond de scène. Une fois encore Pommerat utilise la musique pour venir ponctuer son message et lui apporter oxygénation.

Les comédiens de la compagnie Louis Brouillard, grands habitués du metteur en scène, sont tous très justes et parfaits dans leurs interprétations respectives, certains monologues s’avérant même très impressionnants de justesse et de précision.

Pascal Victor/ArtComArt

Pascal Victor/ArtComArt

« Tu es grise ma fille. Ça me fait tellement mal de te voir comme ça […]. Tu crois que tes enfants vont aimer grandir avec cette image de leur mère que tu leur proposes ? Même ton mari ne pourra pas toujours se passer de lumière. Vois le regard qu’il porte autour de lui. Moi, en tout cas, cela me gêne énormément. D’abord parce que c’est ton mari et puis ensuite parce qu’il pourrait être mon fils… », Joël Pommerat, Cet Enfant (Actes Sud Papier).

Féroce, sans concessions, Cet Enfant est un spectacle magnifique et nécessaire qui, même s’il s’avère un peu court et parfois trop crié, ébranle le schéma familial avec justesse et discernement.

A découvrir jusqu’au 27 septembre au Théâtre des Bouffes du Nord puis les 21 et 22 octobre au Festival des Liberté de Bruxelles.

Avec : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Ruth Olaizola, Jean‑Claude Perrin, Marie Piemontese

Musique interprétée par : Aymeric Avice, Guillaume Dutrilleux (trompette), Boris Boublil (claviers, orgue, piano électrique), Antonin Leymarie (batterie), Rémi Sciuto (saxophone, synthé basses), Fred Pallem (guitares, basse)

Scénographie et lumières : Éric Soyer

Costumes : Isabelle Deffin

Création musicale : Antonin Leymarie

Recherche et réalisation de l’écriture sonore : François et Grégoire Leymarie

Installation sonore : François Leymarie

Accessoires : Thomas Ramon

Documentation : Évelyne Pommerat

Recherche documentation : Caterina Gozzi

Direction technique : Emmanuel Abate

Régie lumière : Jean-Pierre Michel

Régie son : Grégoire Leymarie

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Entendu dans la salle :

« _Bin dis donc, c’était pas très gai…

_ C’est que c’est du Joël Pommerat, c’est normal.

_ Il  pourrait faire des choses plus joyeuses tout de même !

_ Oui, mais alors ça ne serait plus du Joël Pommerat.

_ Tu crois que les gens se déplacent au théâtre pour ne voir que des choses tristes ?

_ Non, les gens se déplacent au théâtre pour voir du Joël Pommerat. 

_ Bin c’est triste. »

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A propos de Alban Orsini

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