Du 21 septembre au 28 octobre, le Centre Culturel Musical Barbara Fleury Goutte d’Or accueillera l’exposition « 1967-1977, une décennie de contestations ». Culturopoing a rencontré Jaïs Elalouf, commissaire d’exposition. Connu aussi sous le nom de Oof, artiste performeur et DVJ à l’origine du projet « Lay-Ooff », Jaïs Elalouf nous explique sa démarche artistique, sa passion pour l’art psychédélique et son engagement contre le capitalisme.
Vous semblez multi-casquettes, fourmillant d’énergie créatrice, comment pourriez-vous vous présenter ? Sous quel métier principal ?
Je n’ai pas vraiment d’étiquette, mais trois principales disciplines peuvent résumer mes activités. D’une part la vidéo, où j’exerce en tant que réalisateur et DJ performeur, ensuite la musique, où je suis directeur artistique et producteur (mon EP sortira en janvier) et enfin l’art, que je collectionne. J’ai aussi fondé Ping Pong, une agence de promotion de musique et d’événements. Dans le cadre de cette exposition, je me présente en tant que DVJ, une appellation qui s’est imposée, une sorte de réalisateur DJ.
J’ai 39 ans et deux frères plus âgés qui m’ont initié à la musique des années 60, pour laquelle j’ai développé une certaine nostalgie. J’ai toujours eu la frustration de ne pas avoir pleinement vécu cette époque et d’avoir été teenager dans les années 80, à la pire époque de la musique. De la musique à l’esthétique des pochettes de disques, à l’art, aux affiches et posters, j’ai développé une véritable addiction pour l’époque 67-77. Il n’y avait pas le rapport actuel à l’ego, mais une liberté d’esprit totale, la possibilité de passer toutes les frontières, de mélanger les styles musicaux, l’art, les couleurs, les techniques et c’était bien vu dans la société. Si l’on conjugue cela aux événements de l’époque, à la naissance de l’écologie, du féminisme, c’était une époque magique où tout était possible.
Tout à fait. Je ne comprends pas que les gens soient uniformisés dans leur habillement et leurs idées, qu’ils ne veulent d’ailleurs pas exprimer. On est dans une complète politique de l’autruche, à la solde des multinationales qui influencent les politiques, ils nous tiennent comme des pantins. Les gens ne se rebellent pas, il faut être dans le moule et de préférence, ne pas être drôle.
L’exposition va permettre de se rappeler les bonnes valeurs, un goût de révolution. Il faut que le pouvoir soit aux gens, mettre en avant l’intérêt commun. En 2012, chacun est un média, chacun a le pouvoir de convaincre les gens. Il faut utiliser ce moyen pour communiquer, aujourd’hui on est contrôlés, on ne réfléchit plus.
Il s’agit de ma collection personnelle, rassemblée pendant des années passées à chiner quand je parcourais le monde en tant que DJ. J’ai entre 2000 et 3000 pièces, de valeurs différentes, cela va des affiches aux pierres, aux objets, fringues, foulards… Je cherchais des choses introuvables, des motifs uniques, qui réunissaient les idées de surréalisme, d’art nouveau et de psychédélisme.
Comme mon budget était limité, j’ai très peu d’oeuvres originales et malheureusement j’ai souvent perdu mes préférées en les prêtant. Je suis un fan de Martin Sharp qui a travaillé pour le groupe Cream et pour Eric Clapton à la fin des années 60. J’adore aussi l’art débridé de Mati Klarwein qui a travaillé sur les pochettes de Miles Davis telles que Bitches Brew, ainsi que Santana pour l’album Abraxas.
En 2001, je travaillais pour Universal Jazz qui produisait des remix de BO de films qui s’appellent Cinémix. On m’a demandé de faire une performance sur scène pour pouvoir les vendre comme des albums et pas comme des compilations. Je suis passé de DJ à réalisateur en faisant une création autour du film français des années 60. Ensuite, j’ai été chargé de moderniser les archives de Safran qui fabriquait des moteurs d’avion, c’était un projet pas spécialement fun au départ, mais j’ai réussi à transcender le truc et à en sortir 4 clips. De créations en délires, j’en suis arrivé au projet Lay-Oof (jeu de mot sur le terme lay-off : licencier) en partenariat avec la Sorbonne, HEC Liège et la London Metropolitan University sur le thème des restructurations d’entreprises. Au départ, j’avais refusé le projet et c’est finalement celui dont je suis le plus fier, d’où sont nées 3 vidéos. J’avais demandé une liberté de ton inconditionnelle, ce projet a corroboré 3 ans de recherches par ces universités, c’est un vrai supplément d’âme. Aujourd’hui, sur cette lancée, j’ai 10 nouveaux clips en prévision pour attaquer des problèmes de société sous un angle humoristique. Il y aura la consommation et l’argent en prônant la décroissance, le pétrole et l’énergie, l’industrie agro-alimentaire avec la monoculture, les pesticides et les OGM, l’élevage… J’entends dénoncer le rachat du monde par les lobbies en donnant la priorité à la santé et au bien-être.Quel est le rapport entre ces vidéos et la période 67-77 ?
J’espère amener à la prise de conscience des peuples, préoccupés par leur confort alors que c’est une évidence portée par chacun, il faut proposer des solutions pour sortir de cela.
Je pense tout de suite au groupe Zoufris Maracas, qui fait de la chanson française pour un public large avec finesse et un message identique au mien, un peu les Manu Chao de maintenant. Il y a finalement peu d’artistes engagés mis à part les punks, ceux qui font cela en rentrant dans le lard, on peut aussi citer Kiki Picasso du collectif Bazooka. Il y a plus globalement beaucoup de gens qui défendent des choses, mais ils sont trop souvent à la solde des multinationales, comme Yann Arthus-Bertrand ou Nicolas Hulot.
Je suis apolitique, car encore une fois, je trouve que les politiques sont trop rachetés par les multinationales. Voyez par exemple ce qu’a donné le Grenelle de l’environnement, aucune loi proche du projet initial. Je vote, pour le moins pire des candidats, et je manifeste à ma façon, en permanence, c’est un combat de chaque minute que je mène entre autres en étant végétarien. Je soutiens complètement l’action du Mouvement Colibris, qui est incontournable.
L’offre culturelle me surprend énormément, aujourd’hui tout est à portée de main et à profusion, sans contraintes financières puisque l’on peut accéder à tout via Internet, même sans posséder les oeuvres. La culture d’aujourd’hui est très ouverte et accessible, il y a bien sûr du bon et du mauvais, chacun peut trier. Cela dit, il est actuellement très dur d’en vivre, c’est dommage que les politiques ne soutiennent pas davantage la culture et les artistes. Ca n’est pas une priorité budgétaire et c’est regrettable. Tout le monde devrait pouvoir être artiste, c’est un stade où le travail n’est plus une contrainte mais un plaisir, un gage d’épanouissement et d’éveil.
« La Voix », un livre d’Edgar Morin (Ed. Fayard) et le film de Coline Serreau « Solutions locales pour un désordre global », qui est un véritable électrochoc.Une phrase de conclusion ?
Je déteste le pessimisme ambiant, les gens qui disent « il faudra bien mourir de quelque chose ». On a ce qu’on mérite et donc tout peut changer…
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EXPOSITION
« 1967-1977, une décennie de contestations »
Culturopoing est partenaire de l’exposition.
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