À l’occasion des représentations de « LUCIDE » de Rafael Spregelburd avec Karin Viard, Léa Drucker, Philippe Vieux et Micha Lescot au Théâtre Marigny du 25 janvier au 7 avril, Culturopoing a rencontré le metteur en scène et comédien argentin Marcial Di Fonzo Bo. Nous sommes revenus avec lui sur ses envies de metteur en scène.
(c) Jerôme Bonnet
Alban Orsini : Vous êtes arrivé en 1987 en France. Pourquoi avez-vous eu envie de venir dans ce pays et d’y rester ?
Marcial Di Fonzo Bo : Rester en France n’a pas été un choix de destination, mais plutôt au départ celui d’une étape. En effet, j’ai grandi en Argentine et j’ai voulu quitter ce pays à cause de la dictature militaire. Durant toute mon adolescence, bien que n’ayant pas souffert directement du pouvoir en place, j’ai vraiment entrevu ce climat d’oppression. J’ai toujours vécu en Argentine avec le désir de partir : ce pays est un vrai port, ouvert vers l’Europe. Je suis donc arrivé en France parce qu’il y avait ici une partie de ma famille. Je pensais au départ m’établir en Espagne, mais il en est allé autrement. J’ai trouvé du travail à Paris et plus spécifiquement dans le théâtre. Comme je ne parlais pas français, j’ai démarré dans les coulisses : éclairagiste, assistant, électricien, costumier, accessoiriste…
AO : C’est de là qu’est née cette envie de théâtre ?
MDFB : Je faisais déjà du théâtre en Argentine et il était évident que je ne voulais faire que cela. Le théâtre est un moyen de résistance, un endroit où l’on peut parler et dire tout ce qu’on ne dit pas normalement. Après mes expériences en coulisse, j’ai eu la chance d’être admis à l’École Nationale du Théâtre de Bretagne et j’ai commencé à étudier le français en parallèle. Puis tout s’est enchaîné très vite puisque nous avons fondé, avec d’autres étudiants, la Compagnie du Théâtre des Lucioles et que nous avons, à partir de là, commencé à tourner.
AO : De Copi en passant par Spregelburd, vous avez monté de nombreux compatriotes argentins. Pourquoi cette envie ?
MDFB : Le travail avec la Compagnie des Lucioles est essentiellement basé sur l’écriture contemporaine : qu’il s’agisse de Fassbinder, Norén, Genet, Rodrigo García, Leslie Kaplan, Philippe Minyana… nous n’avons monté que des auteurs contemporains. Mon travail de metteur en scène est totalement lié au travail de la compagnie. Ce choix de mettre en scène des auteurs argentins n’a pas vraiment de rapport avec mes origines, mais il se trouve qu’en Argentine, il existe un potentiel fort de créativité, dans le cinéma, l’écriture… Cette créativité se retrouve également dans le travail des dramaturges. J’ai découvert ce mouvement d’écriture que l’on nomme Post-Dictature au court de mes voyages là-bas et j’ai rencontré des auteurs incroyables qui sont vraiment le réceptacle idéal pour le type de recherches que je fais.
AO : Pourquoi avoir eu envie de monter des textes de Rafael Spregelburd ?
MDFB : Les textes de Spregelburd sont célébrés depuis des années sur les plus grandes scènes européennes (au Royal Court de Londres, au Piccolo Théâtre de Rome, à Barcelone…), mais ils étaient inconnus en France. Les faire découvrir au public français était important pour moi. Accompagner un compatriote n’a été qu’une sorte de récompense personnelle. Plus spécifiquement, le théâtre argentin de Spregelburd est fabriqué d’une manière que l’on ne connait pas en France : Rafael est dramaturge, acteur, metteur en scène et travaille avec le même groupe de comédiens depuis des dizaines d’années. De plus, ses textes sont pensés pour le théâtre indépendant non subventionné, ce qui leur confère une liberté inouïe qui se joue des contraintes, aussi bien dans la forme, dans la durée, et dans le nombre de personnages qu’ils intègrent. Cette liberté se ressent dans le fond également puisqu’on trouve chez Spregelburd une véritable liberté du propos, des thèmes abordés, ce qui confère à l’ensemble une véritable énergie ainsi qu’un questionnement permanent que l’on ne rencontre pas en France où les textes sont inscrits dans une logique qui contraint plus qu’autre chose.
AO : Avec La Estupidez, La Panique, La Paranoïa, l’Entêtement, vous avez mis en scène quatre des sept pièces que compose l’heptalogie telle que pensée par Rafael Spregelburd. Pourquoi avoir eu envie de sortir de ce concept avec Lucide qui n’appartient pas à l’heptalogie ?
MDFB : Lucide est tout simplement la suite de ma rencontre avec Karin Viard. Karin était dans la distribution de la Estupidez qui est effectivement une pièce de l’heptalogie de Spregelburd, et nous avions envie de nous retrouver sur un autre texte. Cette pièce, Lucide, existait déjà et je la connaissais : le rôle principal qu’elle proposait, Tété, était un rôle taillé sur mesure pour Karin et il me semblait évident qu’il ne pouvait en être autrement. Cela a pris du temps : avec Guillermo Pisani, nous avons traduit le texte et ce n’est que maintenant que nous pouvons proposer cette pièce au public et dans la configuration que nous souhaitions. En ce qui concerne l’heptalogie en elle-même, j’en ai effectivement monté quatre des sept textes qui la compose. Je ne suis pas certain de la clore en tant que metteur en scène, les trois textes restants étant bien différents. Nous verrons bien…
AO : Quelles sont vos envies pour la suite ?
MDFB : J’ai souvent été acteur, j’avais envie de passer de l’autre côté en tant que réalisateur : la saison prochaine, je vais donc réaliser mon premier film. C’est une nouvelle aventure…
AO : Qu’auriez-vous envie d’ajouter que vous n’avez pas eu l’occasion de dire durant une interview ?
MDFB : Je trouve qu’il est important de parler de la situation et de l’actualité politique française et plus spécifiquement de la politique culturelle de ce pays. Nous avons la chance incommensurable que la France soit fondée sur le principe de l’exception culturelle. Les temps sont durs, l’économie mondiale bascule, soit, mais il est dommage que l’on ne parle pas plus de culture et qu’aucun candidat à la présidentielle ou presque n’aborde ce thème dans son discours. À l’heure actuelle, on peut noter une véritable et rapide dégradation du système ainsi qu’une quasi-absence de politique culturelle forte. Cela se traduit par une difficulté réelle de conserver son statut d’intermittent du spectacle et de pouvoir mener à bien ses projets. Le fonctionnement des grandes maisons s’avère complexe et difficile, les budgets n’évoluent pas. Il faut en parler et être force de propositions ce qui manque cruellement à l’heure actuelle.
Plus d’informations sur le site : http://www.lucide-lapiece.com/
Entretien réalisé le 19 janvier 2012.
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