À l’occasion de son exposition photographique Contre-Plongeons (Parisiens) qui se tient à l‘Hôtel Georgette du 17 au 31 octobre 2014, Jordane Prestrot a accepté de répondre à nos questions.
Peux-tu nous expliquer ton parcours ?
Jordane Prestrot : Je suis toujours embarrassé par ce genre de questions. Je comprends qu’en sachant d’où vient quelqu’un on peut mieux comprendre où il va. Seulement, j’ai toujours été assez réservé sur ma vie privée et mon histoire. Et d’une certaine manière, je trouve assez ennuyeux de raconter ça. Souvent quand on commence avec le récit de nos expériences personnelles et la description détaillée de nos journées, on finit par se complaire là-dedans et ne jamais élargir le champ. On ressasse ce qu’on a déjà vécu et qu’il a souvent juste suffi de vivre. Et quand on en a marre, on se met à commenter la vie des autres, à commérer… Si c’est possible, je préfère parler d’idées et de visions du monde. Et finalement, cette préférence-là me paraît beaucoup plus motrice dans mon parcours et dans ce qui m’a conduit à la création artistique que le fait que j’ai grandi dans les Yvelines et vive maintenant en Alsace.
Comment en es-tu arrivé à la photographie ?
J.P. : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu envie de m’exprimer artistiquement. J’étais le genre de gamin qui passe son temps à dessiner ou à mettre en scène des histoires avec ses jouets. En grandissant, les moyens d’expression qui s’offraient à moi se sont multipliés. J’ai un peu tout essayé en même temps, avec des degrés de réussite divers : l’écriture, la musique, la vidéo, l’art conceptuel, la photo… Je me suis vite rendu compte que chaque discipline me permettait de m’exprimer sous un angle différent. Par exemple, pour moi, la musique est de l’ordre des ressentis intimes, de l’émotionnel tandis que l’écriture est une démarche plus analytique, plus narrative…
Que racontent tes photos ?
J.P. : Elles me racontent et me rappellent plein de choses, mais je préfère laisser les gens libres d’y trouver ce qu’ils souhaitent. C’est beaucoup plus enrichissant. Je considère que je partage ma subjectivité et j’espère que chacun à sa manière peut entrer en relation avec ça. Il ne faut pas qu’il y ait une réception unique. De manière générale, je déteste l’art qui nécessite un mode d’emploi.
Comment définirais-tu ton style ?
J.P. : Certains parlent de minimalisme, de flirt avec l’abstraction… C’est vrai que j’ai un souci très prononcé de la composition de mes images, en termes de symétrie, d’équilibre des formes et des couleurs… J’essaie de présenter les choses sous un jour esthétique, y compris les choses les plus triviales ou ces histoires du quotidien dont je n’aime pas trop parler. En fait, c’est une manière de me réconcilier avec elles, d’en faire une source d’enchantement. Je ne compte plus le nombre de fois où une expérience pénible ou ennuyeuse a été contrebalancée par la joie d’en avoir fait de bonnes photos. Cet été, je suis allé voir le lac Majeur. Pendant ma visite des îles Borromées, il y eu un orage extrêmement violent : déluge d’eau, baisse brutale de la température, arrêt des navettes, touristes paniqués et autochtones désemparés… Bref, ça aurait pu me gâcher le moment et peut-être même mes vacances, sauf que photographiquement, c’était tellement beau et tellement intéressant… Bon, c’est un exemple un peu extrême, comme ça, pour illustrer. D’ordinaire ce sont plutôt des ambiances ou des micro-détails qui me gênent et dont j’arrive à prendre le contre-pied en faisant des photos.
Justement, dis-nous en plus sur ton projet Contre-Plongeons…
J.P. : J’ai un problème avec l’esthétique des villes, d’un point de vue horizontal. À hauteur d’homme, il y a beaucoup de choses qui me déplaisent voire qui me heurtent. J’ai été assez marqué par le film Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio qui met bien en lumière la forme d’aliénation consumériste et matérialiste de nos sociétés occidentales. J’y pense parce qu’il y a beaucoup d’images de gratte-ciel pris en contre-plongée, dans le film. C’est peut-être comme ça que je me suis mis à photographier les bâtiments en contre-plongée. Découpés sur le ciel, libérés de leurs trottoirs, de leurs portes et de leurs humains, je trouvais ces morceaux d’architecture vraiment beaux. À partir de 2005, j’ai commencé à systématiser les photos de ce genre. Bien vite, rassemblées en série, je me suis rendu compte qu’elles racontaient quelque chose de notre monde, de nos démonstrations de puissance, actuelles ou passées. Je pouvais ainsi mettre directement en relation la tour Total de la Défense avec une cathédrale néogothique. Sans un mot, cela faisait sens.
Contre-Plongeons (Parisiens) est ta première exposition personnelle sur Paris. Quelles sont tes attentes par rapport à cet évènement dans la capitale ?
J.P. : Paris a un rayonnement mondial au niveau artistique qui me permet un saut qualitatif indéniable par rapport à mes précédentes expériences. Je souhaite que cette exposition soit un point de départ pour bien évidemment faire connaître mon travail, mais aussi pour réfléchir à de nouvelles manières de le présenter au public.
Comment s’est concrétisé ton travail avec l’Hôtel Georgette ?
J.P. : L’Hôtel Georgette est un lieu très surprenant. Chaque chambre est décorée dans le style d’un des grands courants artistiques du XXe siècle et, au rez-de-chaussée, des expositions en collaboration avec la galerie Colorfield, souvent dans un style assez pop et coloré, changent régulièrement. Le reste de la décoration et le mobilier sont très design avec des lignes épurées. Mon principal souci était de proposer quelque chose qui entre en dialogue avec l’esprit du lieu et sa fonction. C’est très important pour moi de garder le souci de la cohérence de l’ensemble. La salle d’exposition fait aussi office de salle de petit-déjeuner, le matin, de café dans la journée et de bar, le soir. Je devais prendre en compte le type de public qui s’y installerait et pour quel type d’activité il le ferait. J’ai donc choisi ces huit vues de bâtiments et monuments parisiens issues de la série « Contre-Plongeons » et les ai agencées de manière à ce qu’elles présentent un unité graphique et thématique en accord avec les dimensions touristiques et artistiques de l’hôtel. Ainsi les photographies et l’hôtel entrent en résonance, et ce, dans une mesure qui dépasse mes attentes.
Quels sont tes projets ?
J.P. : Je cherche un moyen de réintégrer de l’humain dans mes photographies. Pourquoi pas un projet « Plongeons » qui se concentrerait justement sur le point de vue horizontal avec les portes, les trottoirs, les gens ? Ou alors avec un modèle. Mais je ne sais pas si je serais capable de concevoir quelqu’un comme un simple objet qui suivrait mes ordres et que je manipulerais à l’envie… Je continuerais de voir une personne, avec son histoire, sa sensibilité… Si nous nous entendons bien, j’aurais plus envie de partir dans une démarche de co-création où la personne pourrait exprimer ce qu’elle est. Quoi que je photographie, au final, je tâche d’y rester fidèle. Je veux que les gens et les choses restent dans leur propre rôle. Du coup, le travail me paraît fatalement beaucoup plus complexe avec les gens qu’avec les bâtiments.
Qu’aurais-tu envie d’ajouter que tu n’as pas eu l’occasion de dire durant une interview jusqu’à présent ?
J.P. : En ce moment, je réfléchis beaucoup à la question de mon rythme. Je me suis rendu compte que lorsque je me dépêchais d’effectuer une tâche pour m’en débarrasser, je m’énervais souvent et que par conséquent, le temps libre que j’avais gagné, je le passais à devoir me calmer les nerfs. Ce qui était donc complètement contreproductif. Depuis quelques semaines, je prête attention aux moments où je vais commencer à accélérer outre mesure et me fatiguer. Ainsi j’apprends à ralentir. Et j’y prends plaisir. Bref, si je te raconte ça, c’est que je crois qu’on gagnerait tous beaucoup à en revenir à une certaine lenteur. Parce que finalement, la lenteur est une qualité de présence.
Contre-Plongeons (Parisiens) est à découvrir à l’Hôtel Georgette à Paris du 17 au 31 octobre 2014.
Plus d’informations sur le site de Jordane Prestrot.
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(*) Jordane Prestrot est également membre du groupe Caput Lava.
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