« Fantastique ! Kuniyoshi, Le Démon de l’Estampe »

Riche et impossible idée qu’a eue le Petit-Palais d’organiser concomitamment deux expositions aussi folles que « Kuniyoshi, le démon de l’estampe » et « L’Estampe visionnaire ». Après avoir soumis ses rétines au bombardement échevelé des quelques deux cent cinquante estampes — et quelques peintures — proposées dans le cadre du premier de ces deux événements, il était difficile de plonger dans les mystérieux noirs et blancs du xixe siècle français. On laissera reposer et on y reviendra, sans aucun doute.

(c) Courtesy of Gallery Beniya

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Mais Utagawa Kuniyoshi ! Il n’est pas fortuit que cet artiste japonais, fils de teinturier né à Edo en 1797 et mort en 1861, se soit fait connaître en 1827 par une série intitulé Cent huit héros d’Au bord de l’eau. Ce superbe roman épique chinois (connu en France dans la traduction de Jacques Dars) est alors en vogue au Japon ; épopée vigoureuse, convoquant merveilles et guerriers, semble correspondre à ce que l’on perçoit du tempérament artistique de Kuniyoshi, puissant, mobile, ironique et d’une grande modernité.

(c) Courtesy of Gallery Beniya

(c) Courtesy of Gallery Beniya

L’exposition fait découvrir quelques-uns des portraits des cent huit héros (qui sont aussi cent huit démons), les confrontant à d’autres portraits virils (héros japonais, historiques ou mythiques, tels que Miyamoto Musashi, Kintarô, les quarante-sept rônins) et, la plupart du temps, à des monstres effroyables ou massifs : baleine, dragons, sangliers, serpents — Kuniyoshi n’est pas avare de variations sur le thème de l’homme aux prises avec la bête. Laquelle n’est pas forcément loin de l’homme : nombre de ces estampes donnent à voir des transformations (hommes en renards, ou inversement ; homme en ogre (voir le triptyque du Monstre Shuten-doji) ; sans compter les yokai — monstres japonais d’aspects variés — qui rejouent des épisodes des quarante-sept rônins, les héros perdus chez les tengu ou, à peine plus rassurants, les poissons et les chats qui peuplent ces mondes intenses.

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Minamoto no Yorimitsu and his Retainers Attacking the Drunken Monster Shuten-doji

De la recréation de ces scènes mythiques ou romanesques à l’estampe théâtrale (Kuniyoshi dépeignant des acteurs et des moments de kabuki, il n’y a qu’un pas : les personnages se simplifient, les décors se font plus hiératiques ; la vigueur, toujours présente, sert un propos plus promotionnel, cependant, ces portraits servant aux grands acteurs de kabuki à remercier leurs spectateur.

(c) Courtesy of Gallery Beniya

(c) Courtesy of Gallery Beniya

La drôlerie, le formidable équilibre et le sens du mouvement ne sont peut-être jamais aussi sensibles chez Kuniyoshi que dans ses portraits de femmes, courtisanes et beautés dans leurs activités quotidiennes. L’une de ces estampes, intitulée «Ça fait mal», montre l’une de ces jeunes femmes serrant dans ses bras un gros chat roux. Au mur, sur une autre estampe figurant en abîme, un poulpe énorme attaque un pêcheur.

Prévoyez deux ou trois heures pour absorber tranquillement ces œuvres d’une vivacité et d’une intensité sans pareille (et rares : pour en préserver les couleurs profondes et fragiles, elles sont peu montrées) ; elles surprennent tout autant aujourd’hui (même si, nourris de manga et de Miyazaki, nous en connaissons bien la descendance) qu’à l’époque où Monet et Rodin les collectionnaient avec ardeur, aux lendemains de l’ouverture du Japon vers le monde.

Kuni

A découvrir au Petit Palais jusqu’au 17 janvier 2016.

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A propos de Anne-Sylvie Homassel

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