Approcher au plus près le quotidien d’une famille japonaise à Séoul au début du XXe siècle, le pari réussi d’Oriza Hirata
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Nous avions laissé Oriza Hirata en 2012 avec ses robots dans « Sayonara ver.2 » et « Les Trois Sœurs Ver. Androïde », nous le retrouvons aujourd’hui avec une fresque historique de forme plus classique à découvrir en plusieurs volets (5 existent, 2 seront donnés).
« Je me considère comme un écrivain extrêmement classique. Mon père était lui aussi écrivain mais peu connu ; mon grand-père était médecin et poète, comme Tchekhov. Pour eux, « littérature » signifiait Maupassant, Thomas Mann ou Tchekhov, tous ces écrivains qui portent en eux l’atmosphère du XIXe siècle. Quant à moi, j’ai été élevé pour devenir romancier, puis je me suis fait auteur théâtral un peu par hasard ; mais il reste au fond de moi ces œuvres que je lisais, ou plutôt qu’on me faisait lire, dans mon adolescence. Je m’intéresse également à la figure d’une « famille qui périt doucement » décrite par Tchekhov ou Thomas Mann », Oriza Hirata à propos de Gens de Séoul (propos recueillis par Mélanue Drouère, dossier de presse).
Gens de Séoul 1909 s’installe dans le quotidien d’une famille japonaise installée en Corée lors de l’occupation de cette dernière par la puissance nippone. Se déployant autour d’une seule table, le spectacle nous fait partager la vie de cette famille dans ce qu’elle a de plus simple à offrir. Point de rebondissements ou bien de drames à outrance, le temps s’étire ici de manière sereine, à peine perturbée par l’arrivée d’un illusionniste et l’attente d’un homme que nous ne verrons jamais. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Oriza Hirata est considéré comme le créateur du « Théâtre Paisible », un théâtre qui impose un temps particulier à la scène, celui du calme et de l’apaisement contre celui, plus occidental, de la frénésie.
« Au Japon, le théâtre moderne est parti de l’imitation du théâtre occidental. Mais il faut savoir que, nous, les Japonais, ne parlons pas de la même manière que les occidentaux : nous sommes différents sur le plan de la structure même de la logique de communication. Ce que j’ai réalisé, c’est avant tout de saisir le caractère singulier de la langue japonaise et d’écrire dans un japonais parlé, ce qui, malgré les apparences, s’avérait extrêmement ardu dans ce contexte. D’autre part, j’ai toujours tenté de capturer des événements de la vie quotidienne qui nous semblent au premier regard insignifiants, plutôt que d’écrire sur des moments exceptionnels de la vie. Tout cela a contribué à rendre mon théâtre plus « calme » que les théâtres préexistants », Oriza Hirata à propos de Gens de Séoul (propos recueillis par Mélanue Drouère, dossier de presse).
Sténographiquement, l’espace est propre et précis : une table, des chaises, le tout posé sur une structure en bois. Des sortes de jalousies elles-aussi en bois délimitent un écrin qui tombe du plafond. Rien ne déborde.
Il est passionnant de voir dans les gestes mêmes des comédiens les rapports de force qui se tissent entre les personnages et ce qu’ils cristallisent : les patriarches règnent en maître sur toute la famille alors que les domestiques coréens se retrouvent dans une position étrange et bancale, tout à la fois invités à la table des colons sans pour autant faire véritablement partie du groupe. La question de savoir comment différencier physiquement un coréen d’un japonais revient ainsi très souvent dans la conversation sans que cette interrogation ne choque plus que ça. L’arrogance rampante dans uns se tapit alors dans les plinthes de la soumission des autres sans jamais s’exprimer frontalement, et dans un sens, c’est bien pire lorsque l’ignoble devient à ce point familier.
« Comme vous le savez, le Japon n’a pas autant avancé dans son devoir de mémoire que l’Allemagne, ni sur le plan gouvernemental, ni dans la sphère privée. Par conséquent, ces deux pièces n’ont pas été très bien reçues par le grand public. Le Japon est si traumatisé par la mémoire de sa défaite, notamment par ce qu’il a vécu vers la fin (les deux bombes atomiques), que les peuples ont tendance à se comporter, non comme des auteurs, mais comme des victimes de guerre. Et il en va de même de la littérature. Mes deux spectacles sont, de ce point du vue, très atypiques, et c’est pourquoi personne ne les a compris lors de leur création. Pourtant, c’est ce même atypisme qui a contribué, bien plus tard, à intriguer les gens », Oriza Hirata à propos de Gens de Séoul (propos recueillis par Mélanue Drouère, dossier de presse).
Drôle, attachante autant qu’atypique, la pièce Gens de Séoul (1909 et 1919) déploie avec tendresse une galerie de personnages sans pour autant sombrer dans la caricature. C’est précis, joyeusement décalé. Comme toujours avec Oriza Hirata : du grand art en dentelles.
Les deux spectacles Gens de Séoul 1909 et Gens de Séoul 1919 sont découvrir jusqu’au 14 novembre au Théatre de Gennevilliers.
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