Des corps, des corps partout. Et pas une seule goutte à boire.
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Sur le plateau, des corps nus en sous-vêtements, couchés sur le dos, très ordonnés et qui cherchent un souffle, respirent dans des sacs de course en papier, vibrent. La lumière crue est fluo, souligne la peau : ton vert, ton bleu, ton rouge sur ton jaune dispensés par des néons disposés à cour et jardin… les ventres se creusent en rythme et la musique dissonante des Chemical Brothers : les artistes bougent, convulsent, cherchent à se relever sur cet espace immense et vide : c’est le début du monde. L’apprentissage. C’est un peu comme Bambi lorsqu’il tente de marcher sauf qu’ici c’est pas du tout Bambi ou sinon c’est un Bambi pour adultes à grand renfort de sexes ensachés, de sueur et de seins, mais non, on le répète, c’est pas du tout Bambi. Ce moment peccamineux précieux, c’est plutôt l’émergence de l’humanité : Adam et Eve sont ici multiples et portent des chaussures à talon recouvertes d’un scotch de chantier jaune et noir. Ils sont altérés dans leurs mouvements et il faudra attendre qu’ils se déchaussent et s’affublent d’animalité (groins, oreilles, poils, griffes…) pour les voir libérés.
« En vérité, en vérité, je vous le dis: l’un de vous me livrera. » (Jn 13,15-19.21)
(c) Virginia Antenolli
Et puis tout à coup la mort du titre est annoncée _ 5-4-3-2-1 : à partir de là elle s’installe, prend ses aises parce qu’elle est un peu comme chez elle : elle a même ses petites habitudes. Elle ne quittera d’ailleurs jamais plus l’espace. Rien n’est pourtant glauque ou déprimant dans ce spectacle, bien au contraire : l’impression qui transpire de l’ensemble est même paradoxalement d’une extrême fraicheur. Sans doute ces corps si jeunes y sont pour quelque chose, on enquête encore…
« SIMON_ Mon super héros à moi aura des jambes super musclées.
SILVIA_ Mon super héros aura le pouvoir de la mise en plis automatique.
CLAUDIA_ Mon super héros ne pètera jamais.
FABIO_ Mon super héros aura la boîte vocale de son téléphone pleine de messages d’amis.
SIMON_ Le mien saura utiliser le subjonctif.
SILVIA _ Le mien fera le tri sélectif des déchets.
CLAUDIA _ Le mien aura du succès avec tout ce qu’il entreprendra.
FABIO_ Le mien sera tolérant avec les vieux.
SIMON_ Le mien saura remplacer un pneu crevé.
SILVIA_ Le mien s’endormira en 30 secondes », Imitationofdeath, Ricci/Forte.
(c) Pizzalis
Inspiré des textes de l’auteur américain Chuck Palahniuk dont on retrouve l’admiration compulsive pour les objets du quotidien devenus miroirs physiques et critiques de la société de consommation, Imitationofdeath est le voyage du mythe personnifié de La Mort au travers des thématiques de la jeunesse, du corps exalté, du sexe et de la religion. Ancré dans un socle réflexif au final très italien (Pasolini tout comme Castelucci ne sont jamais très loin), le couple artistique Ricci /Forte propose, loin de tout texte, une évocation en forme d’expérience visuelle à la limite de la performance. De nombreuses questions seront soulevées tout du long et peu de réponses fournies. Ce sera alors au spectateur de chercher dans son expérience personnelle la resonnance aux tableaux proposés, et de confronter son propre questionnement aux idées lancées par le spectacle : pourquoi la mort est-elle annoncée lors de la mise à nu des corps ? Que raconte cette domination physique d’un sexe sur l’autre ? Pourquoi sexe et mort sont-ils si imbriqués ? Pourquoi cette dissonance musicale, cette superposition parfois aléatoire entre musique moderne et opéra ? Pourquoi la religion semble-t-elle si centrale ? Doit-on lui laisser cette place ? Faut-il imiter la mort pour se sentir vivant ?
(c) Yara Bonanni
Loin de tout pathos, les comédiens s’amusent constamment, sourient, charment, mélangeant habilement art corporel chorégraphié et improvisation : ils sont jeunes, beaux (parfois trop, c’est indécent !) et se donnent vraiment, complices amusés et amusants du public (à ce titre, le coup de ciseaux donné au ruban de chantier qui marque l’espace entre les spectateurs et les performeurs est plus que symbolique). Les références et clins d’œil sont pléthores : ils sont musicaux (Muse, Pink Floyd…), littéraires, visuelles… Chacun y va de son anecdote sexuelle le tout mis en forme comme lors d’une cérémonie des Oscars.
La jeunesse veut grandir, saute pour y parvenir _
l’élongation,
mais comment apprendre ?
Doit-on poser les calculs de la vie sur un grand tableau noir pour mieux en saisir l’essence ?
Mon corps est-il une carte du Monde ?
Si oui, est-il cette vieille Europe ?
Les radio-cassettes…
Mon corps n’est-il qu’un squelette ?
Mon âme peut-elle être radiographiée ?
Je me définis par mes rencontres.
Les objets que je possède.
Je ne suis pas tout ça.
Suis-je tout ça ?
Ne suis-je que ça ?
Encore des questions, encore des pistes…
Tout à la fois sombre et léger, lourd et frais, Imitationofdeath fait partie de ces spectacles visuels qui résonnent, au-delà de la « simple » performance qu’ils proposent, par les questions qu’ils soulèvent. En dressant le portrait à première vue pessimiste d’une jeunesse désabusée croulant sous un quotidien et une histoire devenus envahissants, le duo italien laisse pourtant transparaître l’émergence d’un espoir rendu possible par le corps même et la jouissance qu’il sous-entend, sorte de résurrection / réappropriation du corps par le corps et pour le corps.
Ainsi, si la vie trahit, la chair reste fidèle à ce plaisir qu’elle donne constamment pour peu qu’on l’écoute et qu’on en jouisse.
Un spectacle de ricci / forte
Mise en scène Stefano Ricci
Chorégraphie Marco Angelilli
Avec Marco Angelilli, Cinzia Brugnola, Michela Bruni, Chiara Casali, Ramona Genna, Desiree Giorgetti, Fabio Gomiero, Blanche Konrad, Liliana Laera, Piersten Leirom, Mattia Mele, Silvia Pietta, Claudia Salvatore, Giuseppe Sartori, Francesco Scolletta, Simon Waldvogel
Assistantes à la mise en scène Ramona Genna,Liliana Laera, Claudia Salvatore
Production ricci/forte. Coproduction RomaEuropa Festival / CSS Teatro Stabile di Innovazione del FVG / Festival delle Colline Torinesi / Centrale Fies.
Créé à Rome au Festival RomaEuropa le 24 octobre 2012