C’est dans une intimité toute relative que la Compagnie Ktha présente ce spectacle sur l’incarcération : deux containers de 6 mètres de long chacun, empilés l’un sur l’autre, offrent deux petites séries de gradins pour une jauge totale de 60 personnes maximum. Accueillis par l’équipe, vous choisirez si vous voudrez être assis en haut ou en bas, le texte ne sera dit qu’une fois en simultané pour les deux parties. Pendant les 45 minutes de représentation, la comédienne fera la navette entre les deux espaces scéniques par un plancher ouvert, unique trappe de liberté dans cette reconstitution de l’enfermement. Grâce au relais d’une caméra lorsqu’elle passe d’un container à l’autre, le texte pourra être entendu de multiples façons, du point de vue acoustique, mais aussi dans sa portée psychologique.En se détachant des considérations sociétales, politiques et de toute forme de revendication directe, la Compagnie Ktha se concentre sur l’humain : « Je suis une personne, c’est comment, emprisonnée, me revient l’amour que j’ai du monde, dans ses petits détails ». Avec un charisme exceptionnel et un sourire constant, la comédienne-trapéziste Camille Voitellier incarne une personne sans nom, âge ni contexte, qui est ou a été emprisonnée, listant les petits bonheurs du dehors. Ce sont des références universelles qu’elle s’approprie et énumère, ponctuées de rappels à sa condition d’enfermement : le vent qui se lève, se souvenir de la mer, écouter le chant des oiseaux, regarder le ciel, observer les gens, les couples, faire l’amour… Ces aller-retours entre l’évocation de la liberté et la réalité limitée du personnage résonnent dans la perspective des déplacements de la comédienne, toujours en mouvement malgré la restriction de l’espace, donnant à voir le bouillonnement interne du personnage. « Quand je pense à moi je cours. Je veux dire quand je m’imagine, je suis en train de courir. »
Dans le texte, cette personne enfermée s’adresse à une autre par le tutoiement, qu’elle détourne vers le public en regardant chaque spectateur dans les yeux, en interpellant chaque conscience. Il faut y voir la marque de fabrique de la Compagnie Ktha, qui privilégie l’interaction et la proximité dans sa façon d’aborder des thématiques réalistes, par sa volonté de « porter un regard impliqué, militant et curieux sur le monde qui nous entoure et essayer de le partager, de l’affuter par l’échange ». Ici, chacun se retrouve aux prises de la réalité du container, limitée le temps du spectacle et pour le reste, fictive, faisant du spectacle une forte expérience émotionnelle. A plusieurs reprises, la caméra filme le dehors, la rue, l’air qui finalement nous appartient.
Il serait faux de dire que « Je suis une personne » se limite à l’émotion. Bien évidemment, le jugement moral intervient dans cette confrontation de la candeur du personnage et des murs de sa prison, quelle qu’elle soit (prison, hôpital, centre de rétention, mort) : qui est cette personne, qu’a-t-elle vécu pour être enfermée, est-ce temporaire ou permanent ? Pourtant, sans éluder ces questions, la réflexion s’ouvre vers une prise de conscience plus large de la liberté. A partir de ce sujet grave, la Compagnie Ktha parvient avec ingéniosité à proposer un spectacle d’une fraicheur extrêmement poétique.
A voir au Monfort jusqu’au 16 juin
Plus d’informations sur le site de la Compagnie Khta
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