La loi de la jungle, en terrain connu.
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Des néons, des ombres chinoises, une scénographie épurée : nous sommes bien chez Robert Wilson. Dès l’entrée des spectatrices et spectateurs, le public est en effet accueilli par un rideau coloré sur lequel le mot « Jungle » apparait en lettres colorées, ne laissant aucun doute quant à l’identité du metteur en scène caché derrière ce décor reconnaissable entre mille.
Résonne une voix, chante l’orchestre, et le rideau de laisser apparaître la faune colorée de cet étrange Jungle Book, ni tout a fait comédie musicale, ni tout à fait opéra.
Les tableaux s’enchainent, alternant parties chantées et racontées. À ce titre, langues française et anglaise alternent sans véritable logique, ce qui peut déconcerter au premier abord. Si l’on aurait aimé décors plus foisonnants pour rendre tangible la jungle, certaines propositions scéniques de Wilson sont incontestablement magnifiques. On pense notamment à ce premier « diorama » dans lequel de grandes feuilles découpées habillent l’espace scénique sur lequel les interprètes évoluent.
Un bestiaire en roue libre.
La grande force et de fait la grande faiblesse de cette variation autour du recueil de nouvelles de Rudyard Kipling est sans nul doute son casting un brin en roue libre. Pour incarner Baloo, Bagheera, Shere Khan, Kaa…, Robert Wilson s’est entouré de comédiennes et comédiens talentueux et investis issus d’une rude et très originale sélection parmi plus de 2 000 interprètes auditionnés. Mentions spéciales pour Jo Moss le singe acrobate, Aurore Déon dans le rôle de la récitante éléphante et Olga Mouak dans celui de la panthère Bagheera, tous trois remarquables dans leurs rôles secondaires hauts en couleur.
Sur son interprète principal, Robert Wilson fait un choix audacieux mais discutable dans la direction qu’il fait prendre à l’incroyable et talentueux Yuming Hey, comédien androgyne et polymorphe déjà croisé chez Joël Pommerat et Pascal Rambert. Ici enfantin, cabotin et ricanant, le Mowgli gender fluid de Robert Wilson sera sans nul doute clivant tant il s’éloigne de la représentation qu’en fait Rudyard Kipling et que Walt Disney a fini de rendre iconique dans son long métrage de 1967. Si Yuming Hey parvient à certains moments à rendre son personnage émouvant (ce qui est assez rare chez Robert Wilson pour être souligné), un paradoxe volontaire se crée (en témoigne la scène très forte de la mort de Shere Khan immédiatement suivi d’une séquence de danse très légère en contrepoint), empêchant toute empathie envers le personnage. Mowgli devient ici un petit d’homme étrange, désincarné et gesticulant quand parfois inquiétant, choix intéressant s’il ne devait desservir le rôle d’identification du personnage tel qu’imaginé par Kipling. Ne pouvant se reconnaitre en Mowgli comme découvreur et passeur d’un monde inédit, le spectateur reste, privé de son guide, aux portes de cette jungle que l’on aurait souhaité plus accueillante.
D’autres choix discutables. D’autres choix discutables.
D’autres défauts de mise en scène sont à souligner tant ils rendent l’expérience « Jungle Book » inconfortable et dissonante par moments. Certains intermèdes ne sont en effet là – et cela se voit – que pour masquer les changements de décors. De même, la répétition du texte à certains moments du spectacle, ne sert en rien le propos et finit même par agacer tant le procédé semble artificiel et vide de sens. Avec ce Jungle Book, on a parfois l’impression d’être devant une œuvre non aboutie et brouillonne que le talent scénique de son metteur en scène et celui de son casting ne parviennent à sauver totalement.
La musique, maison de mon rêve.
Imaginé à l’origine par Emmanuel Demarcy-Mota pour inaugurer la salle rénovée du Théâtre de la Ville, Jungle Book marque les retrouvailles – après le magnifique Peter Pan – entre Robert Wilson et le duo Cocorosie. Une fois encore, le choix du groupe folk psychédélique pourra s’avérer clivant pour certains, mais pour peu que l’on soit réceptif aux expérimentations des deux sœurs américaines, la musique de ce Livre de la Jungle est maîtrisée de bout en bout. Les clins d’œil scéniques aux sœurs Casady sont d’ailleurs amusants, en témoigne par exemple le maquillage de l’interprète de Kaa qui reprend l’esthétique clownesque arboré par le duo dans de nombreux visuels. Et quand résonne la voix malheureusement préenregistrée de Bianca Casady, la chair de poule s’invite en salle.
Un mot enfin pour saluer les musiciennes et musiciens – notamment la bluffante violoniste Asya Sorshneva et le human beat box Tez, comparse de longue date des Cocorosie – qui donnent à la partition musicale toute l’envergure qu’elle mérite. Le final, Law of the jungle, restera en tête quelque temps, c’est certain.
Jungle Book, s’il n’est pas le voyage espéré du fait de nombreux défauts, reste une proposition intéressante dont on sort content, comme quoi, il en faut finalement peu pour être heureux.
Jusqu’au 20 novembre 2021 au Théâtre de la Ville.
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