"Le Crocodile Trompeur / Didon Enée" mis en scène par Samuel Achache et Jeanne Candel, ou l’art d’enfiler de très bonnes idées sur de très mauvaises autres…
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Le spectacle commence par une longue diatribe de
Florent Hubert sur la
théorie des sphères (dont nous avions déjà parlé
ici) et la
théologie négative. Cette mise-en-bouche philosophique finalement assez originale, amuse : la démonstration, volontairement laborieuse, s’enlise, exaspère en s’étirant au possible, accumule les maladresses et autres digressions faites exprès. La salle, toujours éclairée, se prête au jeu, rit de bon cœur : le ton est donné, cette relecture de l’opéra de
Henry Purcell,
Didon et Enée, sera drôle, décalée.
Du moins sur le papier…
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(c) Victor Tonelli / ArtcomArt
Après un interlude musical vite interrompu, une séquence censément comique met en scène deux chirurgiens et leurs stagiaires en prise avec le corps de la reine Didon. Tous ensemble et après une longue chute façon « Alice au Pays des Merveilles », ils vont en investir les moindres recoins, des poumons en passant par le cœur, du cerveau en passant par le foie. Ça fait des prouts en marchant, ça fait semblant de parler anglais, ça se chamaille à coups d’organes, et puis ça refait des prouts.
Si l’on sourit un peu au début, ce passage se révèle au fur et à mesure lourdingue, puéril et mal dirigé : une sorte d’humour d’adolescents dont la drôlerie manquerait de générosité, arrêtée qu’elle serait aux seuls comédiens. En deux mots : c’est potache et bébête. Sans plus. Et presque aussi long que le monologue de Florent Hubert, sauf qu’ici, nous ne sommes pas certains que cela soit fait exprès…
Et ça refait des prouts.
On pourrait invoquer le procédé de création basé sur l’improvisation pour expliquer cette distance étrange et bancale, mais non. Ça serait trop facile.
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Soudain apparaît
Judith Chemla (de la Comédie Française), qui nous avait déjà fortement impressionnés dans
L’Entêtement mis en scène par
Marcial di Fonzo Bo et
Élise Vigier. Gracieuse et magnifique dans sa robe bleue ajourée, elle campe une Didon crédible et indéniablement touchante. Elle s’avérera vite incroyable dans son jeu et dans sa maîtrise du chant que nous ne connaissions pas jusque-là.
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L’Ouïe de Brueghel L’Ancien
Puis un rideau tombe, et nous découvrons la scénographie inspirée de l’Ouïe, tableau du maître Brueghel. C’est une sorte de grand n’importe quoi, noyé sous des amoncellements de gravas et d’installations étranges. Un arbre aussi. Sur la scène des Bouffes du Nord, la perspective est magnifique. Le cadre est bien pensé, équilibré. Peut-être un certain manque au niveau des lumières qui écrasent un peu l’ensemble, mais c’est un détail. C’est un décor d’opéra qui s’éloigne de l’idée que l’on se fait généralement d’un décor d’opéra. Une sorte de faux décor d’opéra qui singerait un vrai décor d’opéra.
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Un des comédiens actionne dans la foulée un mécanisme : une vasque, qui se remplit d’eau, met en branle un contrepoids qui fait quelque chose dont la résultante est de faire se déplacer un bidule qui fait de nouveau quelque chose qui fait bouger un machin dont un coin, mais on ne sait pas quoi parce qu’on ne voit rien, ce dernier finissant par interagir avec une sorte de tige avec une ficelle qui a un moment va sur une bougie qui brûle une corde qui lâche le poids d’un pendule qui finalement gratte les cordes d’une guitare qui fait de la musique voilà-c’est-fini-passons-à-autre-chose.
L’idée, assez originale qui consiste à ériger une installation de type « dominos », si elle est cocasse, s’avère ici un désastre tant on ne voit ni ne comprend rien des différents dispositifs qui la composent. Coincé au fond de la scène, le mécanisme est en effet trop peu visible.
Quid de sa justification dans une proposition telle que Didon et Énée ? Franchement, on ne voit pas, on n’a rien vu, on ne voit rien et pour cause : ça ne raconte rien.
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Et puis tout à coup, Mercure troque ses sandales ailées contre des chaussures de ski scellées dans le sol, ses mouvements se voyant par la même entravés : la trouvaille est bien amenée, pertinente et drôle : le Dieu a beau se débattre, ses actions sont comme corrompus, alourdies. L’intention est ici lisible et efficace : elle atteint.
(c) Victor Tonelli / ArtcomArt
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La pièce se déroulera ainsi jusqu’à la fin, alternant des scènes à la grâce intemporelle portées par la musique de Purcell (la scène d’amour sous le tapis, le départ d’Énée) et des séquences abêtissantes et sans sens aucun hormis celui de vouloir à tout prix dépoussiérer la musique baroque du compositeur anglais, dichotomie exaspérante qui finit par ulcérer. Car c’est bien cela le cœur du problème : si l’idée de départ qui consistait à utiliser des contrepoints narratifs et scéniques, des provocations modernes pour remettre aux goûts du jour l’opéra de Purcell est louable, elle paraît au final très artificielle, manquant totalement de théâtralité et de cohérence à la façon d’une coquille vide.
Il y a à ce moment durant lequel une branche d’arbre est arrachée. Du trou laissé s’écoule de l’eau. Soit. C’est joli, mais ça raconte quoi à la fin ? À quoi cela sert-il ?
(c) Victor Tonelli / ArtcomArt
S’il est indéniable que les musiciens font preuve d’un talent fou en intégrant au formalisme classique de Didon et Énée des instruments plus alloués au jazz, si les chants lyriques sont parfaitement maîtrisés dans la technique autant que l’émotion, les scènes jouées sont d’une platitude confondante et plombent l’ensemble.
Nous nous contenterons de retenir les prestations exceptionnelles de Judith Chemla, Léo-Antonin Lutinier (peut-être par moment un poil trop cabotin) et Olivier Laisney ainsi que la virtuosité de l’ensemble des musiciens et chanteurs.
Dire que nous sommes passés à côté de ce spectacle est un euphémisme, en témoigne la standing-ovation de l’ensemble de la salle à la fin de la représentation. En ce qui nous concerne, nous avons lancé un avis de recherche afin de retrouver la théâtralité de cette pièce. Si jamais vous la voyez, merci d’adresser vos courriers à Culturopoing…
D’après l’opéra de Henry Purcell et d’autres matériaux
Mise en scène Samuel Achache et Jeanne Candel
Direction musicale Florent Hubert
Arrangement musical collectif
Direction chorale Jeanne Sicre
Scénographie Lisa Navarro
Lumières Vyara Stefanova
Costumes Pauline Kieffer
Construction des décors François Gauthier-Lafaye, Didier Raymond,
Pierre-Guilhem Costes
Avec
Matthieu Bloch, Judith Chemla, Vladislav Galard, Florent Hubert,
Clément Janinet, Olivier Laisney, Léo-Antonin Lutinier, Thibault
Perriard, Jan Peters, Jeanne Sicre, Marion Sicre et Lawrence
Williams.
A découvrir jusqu’au 3 mars au Théâtre des Bouffes du Nord.
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