« Les possédés d’Illfurth », m.e.s. Lionel Lingelser

Un spectacle possédé par la vie et la nécessité du pardon.

Après 40° sous zéro et sa débauche de costumes, de masques et d’effets scéniques, virage à 180° avec ce seul en scène intimiste et économe proposé par la compagnie alsacienne fraichement moliérisée du Munstrum Théâtre.

Les Possédés d’Illfurth tire sa substantifique moelle de l’histoire sensible et personnelle de son interprète principal Lionel Lingelser, co-créateur en 2012 avec Louis Arène, de la compagnie du Munstrum Théâtre.

Hélios, alter ego du comédien, s’apprête à incarner Scapin dans un spectacle faisant halte dans sa région natale. Alors que la date fatidique des représentations approche, que son appréhension de jouer devant sa famille et ses proches monte, il se confronte à la hargne d’un metteur en scène « possédé », Le Sorcier, qui le malmène et l’intime à se mettre en danger pour mieux se révéler.

 

« LE SORCIER _ Tu arrêtes tout de suite. Pas de chiale. Ah non, pas de chiale. Qu’est-ce que tu vas faire quand il y aura le public ? Tu vas faire comme ça ? Tu vas faire : je me pisse dessus, je pisse sur mon travail ? C’est ça, un acteur ? », Les Possédés d’Illfurth, de Yann Verburgh (Éditions Les Solitaires Intempestifs).

 

Déstabilisé, le jeune comédien part en quête de lui-même pour identifier ces plaies sensées révéler el Duende, un « charme mystérieux et indicible » comme le décrit Federico Garcia Lorca dans « Jeu et théorie du duende », sorte d’état de grâce vampirique qui s’incarnerait dans le sang-même des artistes et en prendrait possession comme un pouvoir insaisissable autant que mortifère.

 

« LE SORCIER_ Comme tu voudras… Hélios, un personnage ne peut pas exister si tu ne trouves pas ta blessure, ta blessure intime. Et toi, acteur, tu dois jouer avec cette blessure que la vie t’a donnée. On construit avec ses blessures, avec ce que nous sommes, avec ce que nous ne pouvons pas être. Tu amènes ton monde en tant que comédien. Ton monde je ne veux pas le connaître, c’est ton secret, d’accord. C’est quoi ton secret ? », Les Possédés d’Illfurth, de Yann Verburgh (Éditions Les Solitaires Intempestifs).

 

Les possédés d'Ilfurth

© Jean-Louis Fernandez

 

  « C’est dans les ultimes demeures du sang qu’il faut le réveiller »

 

Une odyssée de dessine alors, puisant ses racines en 1865 dans l’histoire de deux possédés iconiques du Haut-Rhin, celle des enfants d’Illfurth Joseph et Théobald Burner victimes d’un mal que les médecins de la région du Sundgau ne sont pas parvenus à identifier. Les deux enfants âgés de 7 et 9 ans sont en effet pris de convulsions impressionnantes, des voix d’outre-tombe semblent s’échapper de leur gorge sans qu’ils n’ouvrent la bouche, ils tremblent lorsqu’ils se retrouvent en présence d’objets consacrés… L’Église catholique procédera à plusieurs exorcismes et finira par reconnaitre ces cas de possessions comme « authentiques », libérant la ferme des Burner du mal qui semblait s’en être emparé.

Cette ferme deviendra 125 ans plus tard celle du grand-père d’Hélios / Lionel et par conséquent, le terrain de jeu du jeune garçon qui s’y émancipe, expérimentant très tôt l’altérité pour le meilleur (le théâtre) et le pire (l’homophobie et le viol par un camarade de basket durant 5 trop longues années).

 

© Jean-Louis Fernandez

 

« Le duende aime le bord des plaies »

 

Thématiquement, le spectacle file la métaphore de la possession pour embrasser de multiples sujets que Lionel Lingelser incarne dans son corps même : la possession du personnage sur le comédien qui l’incarne, la possession du masque, la possession de la maladie (l’énurésie) sur l’individu, la possession démoniaque, la possession physique et mentale du violeur, etc. Avec beaucoup de subtilité, l’écriture de Yan Verbugh tisse des liens entre les passages autobiographiques reprenant l’expérience de Lionel Lingelser et des moments plus oniriques, voire absurdes, qui permettent au sens de rebondir sans cesse et de s’enrichir. L’auteur évoque l’inspiration, entre autres, du film C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée et ce n’est sans doute pas anecdotique tant la filiation semble évidente dans la façon qu’à le texte, très queer, d’osciller constamment entre l’intime et le plus cabotin.

 

© Jean-Louis Fernandez

Le jeu de Lionel Lingelser impressionne tant il parvient, avec peu de moyen, à saisir l’ensemble des personnages de la pièce. Ses mains se font masque et il devient Scapin ; d’un accent surjoué et d’un plus léger déhanché, il incarne le flamboyant et exaspérant Sorcier ; éclairé autrement, il est une Sainte Vierge défoncée… Et c’est sans aucun doute en cela que réside le génie autant que la recherche formelle du Munstrum : l’élaboration de créatures hors-normes nous permettant de mieux interroger notre réalité et son artificielle normalité.

Malgré la dureté des sujets abordés, le spectacle ne sombre jamais dans l’explicite gratuit ou le pathos. Frontal, il développe bien au contraire une subtilité rayonnante et joyeuse en contrepoint, écho évident de la sincérité du propos. En ce sens Lionel Lingelser est parvenu, avec l’aide précieuse de son auteur Yan Verburgh, à ciseler un texte solide et cohérent qui équilibre les messages qu’il distille.

« EL DUENDE_ C’est des conneries d’intello tout ça. Le vrai combat, c’est la joie », Les Possédés d’Illfurth, de Yann Verburgh (Éditions Les Solitaires Intempestifs).

Jusqu’au 1er juin au Théâtre du Rond-Point.

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A propos de Alban Orsini

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