« J’ai remis le nez dans Copi, Les Quatre Jumelles, ou comment chanter la rutilante absurdité de nos vies en assassinant un personnage toutes les dix minutes, ce qui, avec Copi, provoque un rire aussi inextinguible qu’inexplicable. Il faut dire qu’ils ressuscitent vite fait. Pourquoi rit-on des ébats et des crimes de quatre improbables junkies, aux sexes indéfinis, aux mœurs dissolues, à la méchanceté bien établie, et qui s’entretuent avec joie et constance ? Mystère et boule de gomme.
C’est la grâce de Copi d’aborder le pire par le rire, ou le rire par le pire, et, avec ses personnages, ses créatures, ses divines, extrêmement minoritaires de par nos rues et nos théâtres, de dire le désordre hilarant du monde que nous tous, les gens normaux, fabriquons allègrement invivable. Comment on fera tout ça ? Comme on pourra. Et toc ! ». Jean-Michel Rabeux.
Les Quatre Jumelles (1973) est sans doute l’une des pièces les plus folles de l’auteur argentin Copi.
Dans une Alaska fantasmagorique dans laquelle les chiens sont sanguinaires, deux jumelles (les sœurs Smith) se shootent à grand renfort de cocaïne, d’amphétamines, d’héroïne et de camphre lorsque débarque un autre couple de jumelles (les sœurs Goldwashing). Il est question de pognon, de chiens, et de nouveau de cocaïne, d’amphétamines, d’héroïne et de camphre. Un couteau et des flingues : chacune tue l’autre à tour de rôle et chacune ressuscite. Elles ont bien le temps de mourir vingt fois pour le plus grand plaisir du spectateur et ce n’est pas un drame, bien au contraire, puisqu’on sourit tout du long.
(c) Benoit Linder
Prenant la forme d’une sorte de vaudeville improbable, Copi arrache par le texte la situation et l’embarque dans un absurde dans lequel s’imprime en filigrane discret une réflexion sur la mort et la solitude.
« Il y a deux exils : l’intérieur et l’extérieur. Le troisième, c’est la mort .» Copi
Sans aucun pathos comme toujours avec Copi, c’est un vrai tourbillon qui emporte tout sur son passage, les répliques fusant dans tous les sens avec un rythme incroyable et une folie dont seul Copi à le secret.
« À deux ans ma sœur m’a ébouillanté le visage, à six ans elle m’a cassé une jambe, à dix ans elle m’a perforé le vagin avec un tuyau d’arrosage, à treize ans je lui ai crevé un œil avec une ampoule électrique, à quinze ans nous avons attrapé le choléra et nous avons perdu nos cheveux, à seize ans nous avons tué la caissière d’un bordel à Mexico à coups de hache et ainsi de suite, ainsi de suite. » Copi.
Jean-Michel Rabeux nous propose une lecture épurée de la pièce et d’emblée on ressent toute l‘admiration dont fait preuve le metteur en scène à l’encontre du dramaturge argentin, car c’est avec une immense tendresse qu’il donne à voir ce texte. Respectant le théâtre de Copi qui est très versé dans le travestissement, Rabeux fait interpréter trois de ses jumelles par des hommes. La quatrième est jouée par Claude Degliame, amie de Copi et remarquable en Joséphine. Sa voix, grave et sa diction qui rappelle celle de Brigitte Fontaine dans cette façon qu’elle a de rendre chuintants les mots en bouche, est un atout incontestable qui procure à l’ensemble une tonalité particulière que la scénographie, dont on ne peut trop rien révéler, finit d’asseoir. Aucun subterfuge n’est utilisé ici : la mise en scène est efficace, sans fioritures ni grandiloquence : elle tape juste. La simplicité fonctionne et rend hommage à un texte qui se suffit à lui-même tant il est fou par essence : c’est Copi ici qui est célébré. Il est au centre du cercle, il est au centre de ces Quatre Jumelles. Il est caché dans leur soutien-gorge vide, à côté des billets de banque et des lingots.
(c) Benoit Linder
Saluons également le travail autour du maquillage et des costumes qui contribuent à renforcer le caractère surréaliste de la pièce par le masque.
Pour conclure, on sort de cette pièce en ayant l’impression d’avoir été dans une bulle, l’espace d’un instant, trop court et froid, une bulle blanche faite de neige… ou de cocaïne.
Une excellente façon de (re)trouver Copi.
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Les Quatre Jumelles de Copi, m.e.s Jean-Michel Rabeux, jusqu’au 23 juin au Théâtre de la Bastille
Texte Copi
Mise en scène Jean-Michel Rabeux
Avec
Claude Degliame Joséphine
Georges Edmont Leïla
Marc Mérigot Maria
Christophe Sauger Fougère
Décors, costumes et maquillages Pierre-André Weitz
Lumières Jean-Claude Fonkenel
Assistanat à la mise en scène Pierre Godard
Régie générale Denis Arlot
Assistanat à la lumière Elise Lahouassa
Construction des décors Florent Gallier, Bertrand Killy, Fabienne Killy et Dominique Métais
Réalisation des costumes Nathalie Bègue
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