"Lost (Replay)", m.e.s. Gérard Watkins (en tournée)

Lost (Replay), c’est le vide, pas le Paradis…

 
Dans Lost (Replay), écrit et mis en scène par Gérard Watkins, trois anges rebelles se voient renvoyés manu militari du Paradis et expulsés dans le sous-sol d’un immeuble parisien dans lequel vivent un homme et une femme que la solitude unit. Mus par la volonté de prouver aux « instances » que l’Homme est toujours bon, ils vont tout mettre en œuvre pour réunir ces deux âmes sœurs que seule une « box » moderne et symbolique relit.
 

(c) Alexandre Pupkins
 
Bien sûr au vu de ce « pitch » somme toute assez simpliste, on pense tout de suite aux Ailes du Désir, chef-d’œuvre du cinéma franco-allemand qui voyait le talent du cinéaste Wim Wenders s’associer au brio de l’auteur et dramaturge Peter Handke. On retrouve en effet dans Lost (Replay), cette même fascination pour l’humanité et sa beauté, cette rébellion identique contre le divin au profit du sentiment et de l’amour. Pourtant, force est de constater que Gérard Watkins n’est ni Wim Wenders ni Peter Handke tant il perd en intensité et en poésie au profit d’une proposition à la limite de la niaiserie et du vulgaire.
 
En effet, si l’isolement des deux protagonistes « humains » de la pièce est pertinemment rendu par l’étude et la critique des moyens de communication (téléphone, télévision, internet…) qui finissent par corrompre le lien entre les personnes en _très justement_ les déshumanisant (ce que l’effet split-screen de la scénographie surligne d’ailleurs), le traitement réservé par Gérard Watkins aux anges est en revanche à la limite du supportable tant il les caricature dans un grand n’importe quoi sans sens. En effet, les « êtres de lumière » apparaissent ici niais, grossiers et irritants : ils se vomissent dessus, parlent bizarrement,  « gueulent » les trois quarts du temps à grand coup de « putain » toutes les deux phrases tant est si bien que le spectateur a l’impression d’être confronté à trois ivrognes dont il ne comprend pas le propos.
 

(c) Alexandre Pupkins
 
En soit, cette proposition n’est pas si stupide dans la mesure où l’on saisit très vite la volonté du metteur en scène de dédiviniser le divin à la mesure de cette déshumanisation de l’humain que le divin dénonce1. Mais le procédé, à force de corrompre constamment la langue des anges ainsi que leurs mouvements, finit par taper sur le système et  éprouver par trop la patience du spectateur qui finit par trouver l’ensemble grotesque et lourd. Des ailes arrachées, aux plumes éparses, en passant par les auréoles de fumées de la chaudière, rien ne parvient au final à rendre ces personnages symboliques et c’est bien au contraire que tout les contraint au grotesque constamment. Et ce ne sont pas quelques effets d’écriture comme cette révélation concernant l’identité trouble d’un des anges, qui relèvera l’ensemble.
 
S’enchainent ainsi dans Lost (Replay) toute une série de clichés mignards et joliets que le metteur en scène assemble comme on enfilerait des perles sauf qu’ici, Gérard Watkins ne nous installe pas dans une joaillerie confortable, mais plutôt dans une sorte de kebab de banlieue, un de ceux avec au mur ces appareils qui tuent les mouches à grand renfort d’électrocutions teintées de bleues et les balancent, agonisantes, directement dans le bac à salade.
 

(c) Alexandre Pupkins
 
Et que dire de cette séquence finale qui voit enfin s’unir les deux humains esseulés du début _ en enfonçant un clou de la taille d’un porte-avions soviétique_  et qui verse dans une mièvrerie des plus prévisibles et des plus fades ? On s’y retrouve catapulté sur les toits de Paris tout fleuris-jolis-coquets-mignons dans une ambiance cul-cul la praline insoutenable pendant que les deux personnages humains rendent le dialogue romantico-niais le plus débilitant qui soit sous les yeux complices de leurs deux anges protecteurs attardés au possible.
 
Reste une scénographie impressionnante qui voit le décor se refermer littéralement sur lui-même, les prestations de Nathalie Richard _toute en sensibilité et retenue_ et celle d’Anne Alvaro, étrange et comme désincarnée (cela ne dénoterait-il pas plutôt son inconfort de jeu?), ne réussissant malheureusement pas  à sauver l’ensemble.
 
Nous avons décidé de ne pas enlever les mouches de la salade pour poursuivre malgré tout le repas : nous avons laissé le sandwich dans l’assiette, nous n’avons pas réglé la note et nous nous sommes jurés que jamais, plus jamais, on nous y reprendrait.
Puis nous nous sommes repassés les Ailes du Désir…

A voir au Théâtre de la Bastille jusqu’au 3 février.
Du 19 au 22 février au Théâtre Garonne à Toulouse.
Du 26 au 29 mars à la Comédie de Reims.
Du 24 au 25 avril au Théâtre 95 de Cergy-Pontoise.

Entendu dans la salle :
"_Je crois que c’était… enfin je sais pas… 
_ Mauvais ?
_ Oui, c’est ça, c’était mauvais (rires)".

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(1)    La phrase peut être relue une seconde fois pour plus de clarté. 

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A propos de Alban Orsini

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