"Memento Mori", de Pascal Rambert & Yves Godin – Théâtre de Gennevilliers

Memento Mori : un voyage sensoriel et magique au pays du corps, des ténèbres et de la lumière.
C’est un noir profond, de ceux que l’on voit peu au théâtre où il y a toujours quelques lueurs, de celles des loges devinées sous un pendrillon en passant par celles, vertes, des issues de secours. C’est un noir profond qui enveloppe le spectateur et le laisse là, à l’affût, prêt à (se) contempler lorsque tout comme ça commence.
« Nous informons les personnes sensibles à la claustrophobie que le spectacle comporte de longues plages d’obscurité totale.
Ainsi, nous vous demandons instamment de bien vouloir éteindre complètement votre téléphone portable et de cacher votre montre luminescente », Memento Mori, extrait de la plaquette de présentation.
Alors, de ce noir naissent des fantômes à la façon des persistances rétiniennes, sortes de silhouettes aux membres immenses, corps mouvants très lentement, comme extraterrestres de la lumière dans l’obscurité totale. Originelle. Un peu gris, un peu rien : c’est de l’air, la peau en atmosphère et c’est l’homme. Est-ce que tout cela est vrai ? Voit-on vraiment ou croit-on voir ? Puis les spectres ondulent, prennent une lueur en caresse puis disparaissent, un peu. Ils se rejoignent, comme se touchent, et se défont : plus personne n’est vraiment certain de les voir à force de cette façon constamment de les apercevoir : ceci est le premier tableau.
Il y en aura trois.

(c) Marc Domage
« 60 minutes comme ça : arrivée, ouverture, grâce, panique, rangement, fermeture à l’iris. La pièce est là », Pascal Rambert à propos de Memento Mori (propos recueillis par Mélanie Alves de Sousa, octobre 2011).
Dans le premier tableau donc, il s’agit d’une sorte de naissance _ombres spectrales à peine découpées dans les ténèbres_ il est une origine ici, peut-être même celle du monde. Un Big Bang très doux. Chorégraphié, le ballet des hommes se joue du spectateur qui peine à discerner et suivre les mouvements. C’est très beau : les corps totalement nus, se meuvent et émeuvent tout à la fois tant c’est incongru comme tout aussi connu. Le travail d’Yves Godin à la lumière est tout simplement époustouflant et le voyage qu’il propose, accompagné de ses techniciens, est de toute beauté. Outre les corps, les halos travaillés tout autour sont de l’ordre du magique lorsqu’ils apparaissent, se découpent et se défont dans le noir, comme si l’espace était immense voire infini.
Le deuxième tableau voit quant à lui les corps un peu plus se dessiner : la lumière est ici sensiblement plus forte et alterne les tonalités chromatiques : malgré que l’on ne discerne pas les visages, les mouvements sont tout de même mieux perçus. Objectifs. Les corps semblent s’approprier : ils se touchent plus, se fondent. Il y a cette cérémonie où les cinq comédiens/performeurs se rapprochent et font éclater des sortes d’enveloppes gorgées de sucs qui coulent au sol. Des sons spongieux qu’accompagne la musique minimaliste et précise d’Alexandre Meyer. Nous ne voyons pas ce dont il s’agit ni ce qui crée ces éclatements liquides, mais cela semble se répandre et les hommes, comme exaltés, y roulent, y fondent, y goûtent. Jouent. Chacun touche l’autre et lèche : c’est une communion. Il y a cette ivresse à jouir ainsi de l’autre. Et aussi une sorte d’excès qui mène la bacchanale vers une orgie plus sombre qui imite la mort.

(c) Marc Domage
Le dernier tableau est celui de l’apaisement. C’est peut-être aussi celui du retour dans le monde. Il finit baigné de lumière là où le spectacle avait commencé dans le noir le plus total qui soit. Une lumière violente, crue, qui ne cache plus rien, ni les sexes, ni la peau de ces interprètes que nous avions déjà vus dans le génial Conte d’Amour de Markus Ohrn. Les éléments se dévoilent, les enveloppes et les sucs étaient ceux de fruits dans lesquels les corps ont roulé peu avant. Leurs couleurs sont criardes. Nous n’étions pas habitués. Puis vient le moment des saluts, rapides, et de la scène laissée au spectateur qui en voulait encore. Un peu dommage, trop vite expédié.
Proposition impressionnante de Pascal Rambert, Memento Mori, (N’oublie pas que tu vas mourir), est une expérience sensorielle magnifique qui se définit en toute simplicité par ce qu’elle ose modestement : un voyage dans le mouvement du simple corps de l’homme.
« Memento Mori n’a pas de sujet sinon le mouvement lui-même. Ou encore si possible avant le mouvement lui-même. Je veux dire encore avant. Au tout début. Avant que ça bouge. Avant que ça apparaisse. On pourrait imaginer ça : avant le mouvement. Avant même qu’on voie quoi que ce soit. On écouterait. On entendrait bien que ça gronde que ça arrive de loin et ça arriverait : nus. On imaginerait tout ce qu’on a en soi : toutes ces images qu’on porte en soi, qui nous appartiennent, mais qui appartiennent en fait déjà au haut Aurignacien encore avant ? À un monde prélapsaire. Nu. Avant la chute. Avant la faute. Est-ce que ça danse les images sur les grottes ? Est que ça danse les mains sur les grottes ? Oui. Avec la lumière ça danse », Pascal Rambert à propos de Memento Mori (propos recueillis par Mélanie Alves de Sousa, octobre 2011). 

Ce qu’il reste sur scène… (c) Alban Orsini
Conception et réalisation Pascal Rambert Collaboration artistique, dispositif scénique et lumière Yves Godin Création musicale Alexandre MeyerInterprété par 5 performeurs Elmer Bäck, Rasmus Slatis, Anders Carlsson, Jakob Öhrman & Lorenzo De Angelis Assistant à la mise en scène Thomas Bouvet
Production Théâtre de Gennevilliers Centre dramatique national de création contemporaine. 
Coproduction CDC – Les Hivernales en Avignon Création 35e édition du Festival Les Hivernales en Avignon (Février 2013) 

A découvrir jusqu’au 6 avril au Théâtre de Gennevilliers.

———————————————————————————-Entendu dans la salle : une jeune femme au téléphone : « J’arrive… oui… je sors du théâtre… oh, je suis allée voir un spectacle avec des hommes tous nus qui se roulent dans des fruits… non, non, pas de texte… juste des hommes tous nus qui se roulent dans des fruits… »

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A propos de Alban Orsini

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