En adaptant le monologue de Molly Bloom personnage secondaire mais non moins important du roman labyrinthique Ulysse de James Joyce, Jean Torrent parvient à rendre hommage, par l’interprétation impeccable d’Anouk Grinberg, à l’écrivain irlandais.
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Illustrant l’attente de Pénélope à Ithaque, le monologue de Molly Bloom clôt le roman mythique de James Joyce ainsi que la quête de son héros, Léopold Bloom. Réveillée par son époux enfin rentré, Molly ne parvient plus à s’endormir. Débute, alors que l’homme s’endort à ses côtés, une longue réflexion intérieure nourrie par la vie, la sensualité et corrompue dans la forme par le sommeil et les divagations que ce dernier distille. S’articulant autour de l’idée métaphorique d’un monde qui s’incarnerait dans la femme et dans sa chair même, le texte impressionne autant par sa modernité, son féminisme, son érotisme que par cette évocation charnelle de l’existence et de son sens. Ainsi Molly Bloom évoque-t-elle sa relation avec Léopold mais également sa liaison avec un autre homme sans que s’exprime une quelconque forme de morale. Très sexué, certains analysent ce passage, du fait de la rapidité de son enchainement en un long flot continu, de la répétition du mot « oui », comme la reformulation littéraire de l’orgasme physique de Molly. Ce chapitre participa d’ailleurs fortement à la réputation sulfureuse du roman.
" Il [Le dernier chapitre d’Ulysse ] commence et finit par le mot femelle : Oui. Il tourne comme l’énorme boule terrestre lentement sûrement et uniment, il se dévide et redévide, ses 4 points cardinaux étant les seins, le cul, la matrice et le con, exprimés par les mots because, bottom, woman, yes. Bien que probablement plus obscène que tous les précédents, Pénélope semble être la parfaitement saine pleine amorale fertilisable fausse subtile limitée prudente indifférente Weib. Ich bin des Fleish der Stets bejaht", James Joyce à propos du derner chapitre d’Ulysse à F. Budgen.
(c) Pascal Victor (ArtComArt)
De nombreuses fois mis en scène, ce texte est un chef d’œuvre de la littérature et sa théâtralité ne fait aucun doute tant il s’étire de manière très rythmique, longue diatribe aux méandres sinueux comme les courbes de la femme qui le rend. En incarnant une Molly Bloom tout aussi bien enfantine que mutine, Anouk Grinberg est exceptionnelle dans son interprétation : chacun de ses gestes, chacune de ses respirations traduisent avec subtilité les errances de cette Pénélope qui, bien que rejointe par son Ulysse, n’en demeure pas moins seule.
"Quand j’étais jeune une Fleur de la montagne oui quand j’ai mis la rose dans mes cheveux comme le faisaient les Andalouses ou devrais-je en mettre une rouge oui et comment il m’a embrassée sous le mur des Maures et j’ai pensé bon autant lui qu’un autre et puis j’ai demandé avec mes yeux qu’il me demande encore oui et puis il m’a demandé si je voulais oui de dire oui ma fleur de la montagne et d’abord je l’ai entouré de mes bras oui et je l’ai attiré tout contre moi comme ça il pouvait sentir tout mes seins mon odeur oui et son coeur battait comme un fou et oui j’ai dit oui je veux Oui.", Ulysse de James Joyce.
La mise en scène, bien que très sobre, souligne admirablement et subtilement l’interprétation de la comédienne : qu’il s’agisse du jeu de lumière précis ou bien encore de l’habillage sonore discret (un train au loin, le clocher d’une église), tout concourt à se centrer sur ce personnage magnifique.
Une petite pensée pour Antoine Régent qui incarne le personnage endormi du spectacle…