La compagnie des Chiens de Navarre nous avait surpris et emballés la saison dernière avec son spectacle-ovni « Une Raclette », une farce brillante et hilarante qui explosait littéralement les codes du théâtre en débordant d’une énergie incroyable avec en filigrane un dispositif scénique quasiment inédit basé sur l’improvisation et la transgression jusqu’au-boutiste.
Ils nous reviennent cette année avec une nouvelle proposition intitulée « Nous Avons les Machines », une œuvre totalement improbable, gonflée à bloc, emplie de trouvailles, d’impétuosité et d’une liberté folle.
Comme le spectacle précédent, le spectateur est accueilli dès son installation dans la salle et cela par quelques membres de la compagnie qui, en tenue d’Adam et le visage recouvert d’un masque monstrueux, s’amusent avec des coussins péteurs et haranguent la foule depuis le fond de la scène. Ce qui est dit alors durant ces quelques minutes d’introduction peut paraitre anodin, mais il s’agit d’un vrai avertissement concernant ce qui va suivre. En effet, à grand renfort de « Coucou », « Amateurs de théâtre de bon goût, bonsoir, vous êtes au bon endroit», « Amis universitaires, prenez des notes sur ce que vous allez voir et faites-en des thèses », les Chiens de Navarre revendiquent ouvertement un théâtre viscéral, dénué ou presque de sens et qui ne se complait en rien dans l’élitisme et le verbeux. Que cela soit dit, le théâtre des Chiens de Navarre est régressif, primal, loin de toute intellectualisation et cela procure un bien fou. Ce prologue est d’ailleurs l’occasion pour eux de brocarder le théâtre « sérieux » si tant est qu’il en existe vraiment un. Ainsi, lorsqu’une des comédiennes s’affiche avec un bidon rempli d’un liquide rouge évocateur et déclare : « dans ce bidon, il y a près de six mois de menstrues, ce n’est pas du sang de théâtre, nous ne faisons pas semblant » la référence à Macaigne et à ses hectolitres de sang synthétique est évidente et fait sourire.
Le spectacle démarre ensuite véritablement. Assis autour d’une table comme pour « Une Raclette », les comédiens nous immergent très intelligemment dans une réunion visant l’organisation d’un évènement associatif dans la petite ville de Saint-Martin. S’enchainent au grès d’une improvisation pétillante et bavarde à souhait, tous les lieux communs de ce type de réunion ennuyeuse et prétentieuse et à partir de là, le rire est continu. Les tableaux se succèdent, révélant des situations toutes plus improbables les unes que les autres que malheureusement nous ne pouvons évoquer sous peine de gâcher le plaisir des futurs spectateurs.
Globalement et une fois encore, les Chiens de Navarre font mouche avec un humour puéril, impertinent, scatophile indéniablement efficace tant il ose tous les excès sans barrière ni garde-fous : ça hurle, ça saigne, ça choque. Tout est basé sur l’improvisation et les comédiens ne peuvent être qu’applaudis pour cette performance exigeante. Thomas Scimeca et Jean-Luc Vincent sont à ce titre particulièrement justes et bluffants dans leur composition respective et Robert Hatisi est hilarant en diva allemande frugivore extraterrestre (oui, tout cela en même temps…).
Malheureusement, pour les spectateurs ayant assisté aux représentations de « Une Raclette », « Nous Avons Les Machines » laissera un goût amer et indéniable de déjà-vu tant ce spectacle emprunte au précédent. Il y a certes des trouvailles très heureuses dans celui-ci, le gore notamment et le caractère primitif de certains comportements qui n’étaient pas à ce point explorés auparavant, mais assister à ce spectacle fut au final comme de voir pour la deuxième fois le tour d’un prestidigitateur : on découvre le truc, cette chose magique qui nous faisait autrefois rêver. Les mécanismes sont en effet identiques et on finit par attendre l’élément absurde qui contrebalancera et soulignera la situation banale et assommante proposée, les changements de rythme, les surenchères. La structure même de la pièce semble transparente et la façon très particulière de tester la résistance du public parait plus grossière qu’auparavant. La fin est révélatrice de ce décevant sentiment de redite puisqu’elle réutilise quasiment à l’identique le visuel de cartoon improbable et décalé qui clôturait déjà « Une Raclette ». De plus, en réduisant la part des dialogues improvisés au profit de scènes plus visuelles, les Chiens de Navarre font l’économie de ce qui faisait pourtant leur force : la critique du banal et l’épuisement, par l’absurde, du quotidien. Le spectacle demeure néanmoins fortement recommandable tant ce qu’il propose reste inédit.
"Nous Avons les Machines" :
_ du 8 au 9 février 2012 au Théâtre de Vanves
_ du 6 au 12 avril 2012 au Théâtre de Gennevilliers
Reprise "Une Raclette" :
_ 25 février 2012 au Théâtre de la Liberté à Toulon
_ du 29 mars au 1er avril 2012 aux Subsistances à Lyon
Entendu dans la salle : "Je n’ai pas été choquée, je suis encore sous le choc, ce n’est pas la même chose".
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