"Octopus", chorégraphie de Philippe Decouflé – Théâtre de Chaillot

Philippe Decouflé fait partie de ces artistes qui s’attirent inconditionnellement la sympathie du grand public, et ce probablement depuis son spectacle pour l’inauguration des Jeux Olympiques d’Hiver à Albertville en 1992, qui aura boosté à long terme sa réputation. Trouvailles chorégraphiques astucieuses et costumes originaux, plus une touche d’ironie, font depuis vingt ans sa marque de fabrique, ainsi que l’utilisation de la vidéo et de la musique live durant la dernière décennie. Voguant toujours entre l’immédiateté et une habile symbolique, les spectacles de Decouflé sont souvent de ceux dont le plus grand nombre se rappelle avec plaisir. Et la fameuse recette a l’air de toujours fonctionner à merveille, puisque son nouveau spectacle « Octopus » est déjà complet…Déjà deux ans depuis « Sombreros », le précédent, et entre-temps une collaboration remarquée avec le Crazy Horse, qui lui aura peut-être soufflé l’inspiration sensuelle d' »Octopus » : huit danseurs pour autant de séquences sur les thèmes de la beauté et du corps, en solo, duo, trio ou en groupe. Au départ, la piste de la symétrie, simplement séduisante, forme un élégant préambule en noir et blanc qui ouvre le débat : la chair et l’os, l’enveloppe et le désir, ce qui est palpable et le ressenti, les carcans et la liberté. Mais là ou l’on attendait un élan ludique, le chorégraphe traite ce programme ambitieux avec une virtuosité grave, obscure et surprenante, car somme toute assez prétentieuse et indigeste.

Seulement présent en vidéo cette fois, Christophe Salengro ne parvient pas à insuffler un minimum de légèreté à l’ensemble avec ses mimiques filmées, au charme pourtant irrésistible et célèbre. D’une oreille incrédule et larguée, on écoute les textes qu’il a écrits pour le spectacle en collaboration avec Gherasim Luca sans parvenir à saisir le rapport avec le propos. Si on ajoute à cela le chant lancinant et geignard de Nosfell en live, il faut compter sur la seule contribution discrète de Pierre le Bourgeois au violoncelle pour rasséréner les troupes. Le réconfort n’est que temporaire, puisque la tension dramatique va croissante et en disproportion jusqu’à une triple agonie finale incluant un tableau collectif autour de la crucifixion, en passant par une référence au bondage sur fond sonore strident. On a connu la troupe plus insouciante, en maillot de bain à l’ombre d’un sombrero…

Bavard et opaque, « Octopus » utilise aussi le procédé vidéo à outrance, notamment à l’aide d’une caméra surplombante dont la répétition hypnotise et fatigue. A l’écran, de l’empreinte thermique au kaléidoscope, les idées fusent en détournant un peu trop longuement le regard de la scène et éclipsent à jamais la fraicheur d’antan qui subsistait, fugace, dans un jeu de jambes ou un coude à coude bien (re)trouvés. Sans oublier les références au cirque, qui nous valent un final plutôt kitsch aux couleurs du Cirque de Pékin, ni l’incongruité d’un message multiculturaliste au détour de la nudité ambiante. Trêve d’hommage à Béjart, cette marée des corps n’inspire qu’une saturation désolante étant donné le crédit accordé à Philippe Decouflé, le bien-aimé chorégraphe, qui vient de sombrer dans la surenchère anxiogène.

Programmé au Théâtre de Chaillot jusqu’au 4 février

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A propos de Sarah DESPOISSE

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