« Outwitting the devil » m.e.s Akram Khan

Jeux de Malin

Outwitting the devil d’Akram Khan, pièce pour six danseurs joint finement le geste à la parole pour exprimer l’impossible rencontre entre l’humain destructeur et son environnement en miette. Une danse tellurique que l’on ne veut/peut quitter entre point de fuite et bascule dans le vide. 

Les danseurs, Ching-Ying Chien, Andrew Pan, Dominique Petit, James Vu Anh Pham, Mythili Prakash et Sam Pratt disposent chacun d’une grammaire chorégraphique singulière. Ces corps racontent à l’aide de courtes phrases chorégraphiques, lesquelles sont articulées aux apparitions sonores d’une voix qui dépose de minces indices narratifs : les mots de Jordan Tannahill « je me souviens de leurs cris – Leurs bouches ouvertes » , quelques images, « orang-outang », « grenouille », une temporalité « en ces jours » – « en ce séjour ». Ce que les corps ne peuvent transmettre, l’habillage musical et sonore de Vincenzo Lamagna le véhicule. Le travail scénographique de Tom Scutt (concepteur visuel) conjugué aux détails des lumières d’Aideen Malone (créatrice lumières) intensifie ces impressions. Ensemble – danseurs, musique, lumière et scénographie – se prêtent à un jeu de déconstruction à chaque instant du récit.

© Jean-louis Fernandez

Espace abîmé, habité par des corps épuisés  

Nous sommes dans le gouffre – corps-regardant et corps-dansant. L’immensité de la Cour d’honneur du Palais des Papes est ressentie en creux. Une déchirure sonore retentit, Outwitting the devil commence. Silence. Un danseur éreinté entre sur scène lentement. La scène nous apparaît dans la pénombre, morcelée de fragments déposés méthodiquement au ras du sol. Ces objets de pierre organisent l’espace – entre évitement et déplacement – les danseurs le façonnent. L’espace est abîmé, habité par des corps épuisés. Un corps dansant détonne, paré d’un tissu or, tel un point de lumière, il s’apparenterait à ce diable (devil) cause du drame. Il serait le corps à déjouer (outwitting).

Dernière image   

La naissance de cette œuvre chorégraphique prend corps dans pléthore de fragments d’œuvres visuelles et textuelles. L’épopée de Gilgamesh, les mythes gréco-romains, Le dernier souper de Léonard de Vinci – à ces sources viennent se superposer des images mentales constitutives de notre manière d’être-au-monde. Fragments méconnaissables car cette œuvre chorégraphique se vit comme un éloge de la brisure. L’écho ne peut naître que d’une rupture laissant place à un lieu vide, condition nécessaire à la résonance. C’est pourquoi davantage de ruptures auraient été attendues pour un écho plus grand avec nos récits personnels.

© Jean-louis Fernandez

« Le géocide est en cours »

L’inanimé c’est la mort. Alors Akram Khan met en mouvement, pour mieux déjouer. En écho au contexte actuel, Akram Khan réintroduit le corps en lien avec son environnement. « Le géocide est en cours ; non pas « un », mais « le » : par hypothèse il n’y en aura pas deux », écrit Michel Deguy. C’est comme si dans cet espace, les six danseurs disparaissaient un temps donné au profit de l’ensemble. L’espace scénique est prêt à accueillir, mais aussi à stimuler une remise en mouvement. Il s’agit bien d’une co-existence.   

La force de cette œuvre loge dans la puissance du travail des corps. Un travail lent et découpé, créateur d’impressions fortes. Le silence premier, d’abord associé à l’abysse, dans lequel l’humain s’est engouffré, se structure progressivement. Mêlés aux fictions qui nous nourrissent, s’ouvrent alors la possibilité d’« élargir l’écoute » (Jean-Christophe Bailly) du monde, de l’autre, d’un ailleurs. Bien que cette œuvre s’accorde précisément à la Cour d’honneur, on ne doute pas de sa force plastique à résonner au-delà des remparts.

Festival d’Avignon du 17 au 21 juillet 2019

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A propos de Déborah Gutmann

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