« Et vous pensez que la vérité, vous allez la trouver dans la vie ? Dans la rue ? Sous vos pieds ? Pour vous, elle est aussi basse que ça ? Aussi terre à terre ? Non, la vérité, c’est ce dont nous rêvons. Ce que nous voulons être ! » Svetlana Aleksievitch, La guerre n’a pas un visage de femme

 

La lauréate du prix nobel de littérature en 2015 avait écrit ces mots trente ans plus tôt à partir de bandes magnétiques où elle avait enregistré les témoignages de femmes soviétiques durant la seconde guerre mondiale. Il y a quelques temps déjà, Rémi et Mireille ont eux aussi mis la main sur quelques cassettes. Des messages sur un répondeur, balancés, éructés, scandés par une femme visiblement victime d’un homme au comportement au moins inapproprié, un hypocrite, un violent, un pervers, nous ne le saurons jamais complètement. Cette base documentaire, presque d’un autre âge, ( « Tu n’es même pas un homme, tu es… une femme !!!» ) sert de point de départ à un spectacle atypique, par la forme comme par le propos.

À l’œuvre un duo complémentaire, reliés par d’innombrables fibrilles pareilles aux poils qui redessinaient un chemin du masculin vers le féminin sur l’affiche très seventies du spectacle. Comédiens, musiciens, bruiteurs, marionnettistes et plasticiens. Mais aussi animateur et réalisateur pour Rémi, auteur du film d’animation projeté au centre de l’espace scénique. Car RémiReille entretient un dialogue fécond entre plusieurs formes artistiques, entre différents espaces matérialisant la distance entre ces messages, bouteilles de poison balancées au « père » et leur réception rêvée par celui-ci.

 

RémiReille – Capture d’écran

 

RémiReille est finalement un spectacle assez économe d’effets et la sidération qu’il provoque sourd du malaise, de l’attente de ces confessions intimes, # Me Too de la préhistoire, auxquelles nous sommes confronté.e.s dans une sorte de confinement collectif obligé. Car à l’époque du « care » à tout prix, à tout craint plutôt, si on nous y enveloppe, on nous provoque. Joliment, irrésistiblement pour les esprits sensibles à la satire ( Satirix, tel est leur nom de compagnie ), poétiquement surtout dans la descendance du vieux poétisme tchèque, courant d’avant-garde des années 20 préfigurant le surréalisme aux côtés du poète Nezval et « prônant la morale du plaisir, de l’invention et de la modernité » ( Petr Kral, Le Surréalisme en Tchécoslovaquie ).

L’invention, elle est ici constante, dès lors que Rémi Verbraeken étreint l’écran et libère très organiquement le personnage animé ou quand le saxophone de Mireille Broillard hurle sa douleur, cette peur de la castration d’un personnage très Svankmajerien ( période Possibilités du dialogue (1982) , donc presque contemporain des cassettes incriminées plus haut ). Le plaisir est plein de trouble, il confine à l’extase dans une sublime scène érotique, où Mireille dans sa robe de mariée à fort à faire face à une langue géante rouge, tactile, texturée qu’il convient de charmer pour mieux s’y abandonner. Une incroyable marionnette qui donne sans doute des frissons à bien des spectateurs.rices qui ne se l’avoueront jamais. C’est le côté provocateur et sensuel du meilleur cabaret, le surréalisme cher à Jan Svankmajer, friand de cette vie sexuelle fantasmée de nos organes. Alors, que le personnage perde son pénis ailé et voici une allégorie invitant à se libérer de la pulsion libidineuse. Pierre, c’est le personnage qui se fait balancer – Pierre, comme moi ! Et comme d’autres, je crains sans doute encore de perdre un peu de virilité à l’aune d’un féminisme qu’on voudrait pourtant voir, sur le papier, triompher.

C’est avec des ellipses, des rimes en raccords, des bruits bien choquants que le spectacle accouche d’une forme de modernité qui contrebalance cette esthétique qui parlera plus aux quinquagénaires et au-delà. De cette tradition que ne renieraient ni Topor, ni les cinéastes-animateurs de l’ONF à Montréal – voir Le chapeau de Michèle Cournoyer sur l’inceste -, on glisse à un questionnement qui redessine les contours du couple contemporain.

Le discours se dérobe comme les organes sexuels libérés du poids de l’esprit, le spectacle vole avec cette liberté nouvellement conquise de s’affranchir de la narration classique pour délivrer et dire une chose simple et belle : Mireille est Rémi et Rémi est Mireille, un nouvel être androgyne et pensant, créateur et qui n’a pas de grande thèse à vendre mais bien du bonheur à être ensemble et à nous l’offrir en spectacle, en cadeau, à qui veut bien l’entendre, le comprendre ou pas, l’interroger et même le bousculer des fois.

 

RémiReille – Capture d’écran

Mission modeste mais ô combien accomplie. Ça discutaille sec chez la trentaine de spectateurs, certains piqués à vif. Un ado pas si timide craint d’avoir mal compris. Que nenni. C’est que la liberté du spectateur comme celle des artistes ne se négocie pas. Elle est ici lestée de plomb, du poids de l’actualité. Les bombes et les mutilations du personnage, indifférent car définitivement obsédé par son sexe frondeur, font écho à notre grande impuissance en tant que société. Cet entre-sort est donc d’une grande utilité publique et mieux, thérapeutique puisqu’il refait d’abord communauté, puis pour telle qui se laisse porter, pour lui ou iel qui acceptera de s’y fondre et de s’y féminiser.

RémiReille

Spectacle sous tente, 30 minutes pour 35 personnes

Contact : satirix@protonmail.com

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A propos de Pierre Audebert

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