"Sayonara ver.2" & "Les Trois Soeurs Ver. Androïde", m.e.s. Oriza Hirata – Théâtre de Gennevilliers

Oriza Hirata présente une réflexion fascinante sur l’avenir en faisant intervenir de troublants robots dans ses deux propositions Sayonara Ver.2 et Les Trois Sœurs Version Androïde. Deux visions inégales, mais intéressantes illustrant  un futur pessimiste et désincarné.
 

 
« Dans 20 ans, il sera normal de voir des robots sur scène. Aujourd’hui, s’il faut trouver un sens à cette utilisation, c’est parce que personne dans le monde entier ne l’a fait jusqu’à présent. C’est la seule raison pour laquelle j’utilise des robots sur scène. » Oriza Hirata
 
Sayonara ver. 2
 
Deux femmes se font face. L’une des deux va mourir, l’autre est immortelle. La seconde est le miroir de la première, cette dernière finira par s’effacer. Qui des deux est la plus humaine ?
 
Parce qu’ils savent leur fille condamnée par une maladie incurable, deux parents décident de faire appel à un robot « géminoïde » dans le but de prendre soin de leur enfant. Le robot, ressemblant très fortement à un humain, est censé « ressentir » les pensées de la malade, lui récitant des poésies pour la rassurer, délicate et empathique.
 

(c) Tsukasa Aoki
 
Dans une lumière sépulcrale, les deux « comédiennes » se donnent la réplique pendant environ une demi-heure. Le temps semble être suspendu entre les deux, sur un fil, et la poésie enflamme l’espace qui les sépare. Tout le long le spectateur, concentré, se demande si la jeune géminoïde est oui ou non, un vrai robot. Il est attentif, il constate le brillant de ses lèvres, le naturel de ses mouvements. Bien sûr, ces derniers sont syncopés, synthétiques, mais tout de même. Et puis le soi-disant robot respire, vibre, cligne des yeux. Il ne peut qu’être humain et sans doute, d’une certaine façon, l’est-il.
 
Très sensible, la proposition d’Oriza Hirata émeut par la poésie qu’elle dégage : la délicatesse qui émane du robot tranche avec sa nature synthétique. Ainsi, les vivants ne meurent pas dans les yeux des robots, ces derniers devenant inutiles une fois les humains disparus, tournant à vide sans la vie. Envoyés défectueux sur les ruines de Fukushima, ils se déchargeront sur du Baudelaire, puisque là-bas, personne n’y récite plus de poèmes. Jamais.
 
La poésie est-elle une composante  permettant de définir le vivant ?
 
Les Trois Sœurs Version Androïde
 
Changement de registre avec les Trois Sœurs Version Androïde : en s’appropriant l’œuvre de Tchekhov dont il ne garde que la trame, Oriza Hirata convoque une nouvelle fois les robots (la géminoïde de Sayonara ver. 2 ainsi qu’un autre robot moins humanoïde que la première).
 
Trois sœurs se réunissent dans la maison de leur père, célèbre scientifique,  peu de temps après le décès de ce dernier. Se noue alors entre elles et leurs invités une intrigue qui révélera un secret de famille des plus inavouables.
 

(c) Tsukasa Aoki
 
Moins réussi que Sayonara ver. 2, l’utilisation des robots est ici plus obscure, plus anecdotique et moins justifiée. Une fois la surprise passée, la présence des deux êtres synthétiques finit par agacer : leurs déplacements lents plombent une pièce qui manquait déjà cruellement de rythme et finissent par la desservir. Ainsi, malgré un texte de qualité et quelques bonnes idées de mise en scène, le spectateur finit par s’ennuyer, ne trouvant aucune justification dans la présence de ces deux robots qui n’apportent au final pas grand-chose hormis une originalité et une interaction (ils donnent la réplique aux humains, interagissent avec eux) évidentes. Les comédiens sont parfois caricaturaux et la réflexion du metteur en scène ne parvient pas vraiment à toucher le public, phagocytée qu’elle est par la robotique qui devient ici complètement artificielle.
 
En conclusion, si Sayonara ver. 2 impressionne et questionne, Les Trois Sœurs Version Androïde, plus classique dans sa forme, lasse. Reste une expérience déroutante et intrigante qui mérite d’être vécue et qui préfigure peut-être  une nouvelle forme de théâtre dans lequel humains et non-humains se donneraient  la réplique sans qu’existe aucune frontière entre les deux.

A découvrir jusqu’au 20 décembre au Théâtre de Gennevilliers.

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A propos de Alban Orsini

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