Seuls : des solitudes, un grand spectacle.
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Au début de tout, il y a
Le Retour du Fils Prodigue de
Rembrandt, toile emblématique du XVIIe siècle.
Le Retour du Fils Prodigue, Rembrandt.
Reprenant la parabole biblique, les deux personnages principaux qui figurent sur ce tableau se dégagent dans la représentation tout en clair-obscur : le Père, vêtu de rouge, accueille son Fils à bras ouverts, un Fils comme doré, drapé dans la bienveillance inattendue du patriarche aimant. Quelques personnages secondaires aussi, dans l’ombre et plus anecdotiques. Il s’agit d’illustrer le retour d’un enfant perdu, comme déraciné, et de souligner le lien indéfectible qui unit un père et son enfant. Qu’a bien pu ressentir Rembrandt en peignant les mains de ce père sachant qu’il avait lui-même perdu son fils deux ans avant de réaliser cette toile ?
Inspiré par cette œuvre et l’émotion suscitée, le metteur en scène libanais Wajdi Mouawad, tout d’abord subjugué et ému, se retrouve frappé par une absence évidente : celle de la mère. Où est-elle ? Pourquoi n’est-elle pas présente ? Que signifie ce vide ? Quel sens lui donner ?
À l’idée de l’absence de la mère qui pour lui symbolise la perte de la langue maternelle, Wajdi Mouawad va au fil du temps associer, dans un procédé d’écriture qui pour lui est inédit, le tableau de Rembrandt à son histoire personnelle ainsi qu’à de nombreuses références puisées tout à la fois dans le théâtre québécois (réflexion sur l’influence du metteur en scène Robert Lepage) qu’à la culture populaire orientale (le chanteur égyptien Mohamed Abd el-Wahab), l’ensemble érigeant les fondations d’un nouveau spectacle présenté dès 2007.
(c) Thibaut Baron
Seuls raconte l’histoire d’Harwan, jeune homme de 35 ans sur le point de soutenir sa thèse sur les solos de Robert Lepage. D’origines libanaises, Harwan a été contraint de fuir son pays avec sa famille pour trouver refuge à Québec alors qu’il n’était qu’un enfant. Seul dans un studio, Harwan s’interroge sur son avenir et sur les choix qu’il doit faire, alors qu’au dehors la ville toute entière s’enlisse sous la neige qui ne cesse de tomber…
Pièce sur l’exil et le déracinement, Seuls explore les différentes formes de l’isolement, qu’il soit très concret ou bien plus symbolique : arrachement solitude, attente… l’isolement réside tout aussi bien dans le sentiment ressenti par les réfugiés contraints à la fuite pour un pays dont ils parlent à peine la langue que dans celui ressenti par l’étudiant face à son sujet de thèse ou bien encore par l’homme dans le coma, prisonnier en quelque sorte de son propre corps. Il se trouve dans la perte de mémoire aussi, l’oubli progressif de ses racines ou bien encore la cécité. Il est également dans le ventre d’un tigre, pour peu qu’on le laisse nous dévorer…
À la fois réflexion sur l’identité et plus largement sur la vie, Seuls s’éloigne des thématiques habituellement abordées par Mouawad. Plus intimiste et moins politique que ses précédentes propositions, cette pièce marque une rupture aussi bien sur le fond que sur la forme, Wajdi Mouawad, plutôt habitué aux formes collégiales, étant ici seul en scène. Durant près de deux heures, le comédien va endosser le rôle d’Harwan avec un réalisme à la limite du documentaire cinématographique, ponctué à quelques moments d’un onirisme bienvenu permettant au spectateur de prendre de la distance et de mieux appréhender les contradictions du personnage. S’appuyant sur un habillage sonore, des vidéoprojections fugaces et une scénographie millimétrée, le personnage s’illustre autant dans sa relation avec les autres (son père, sa sœur, son directeur de thèse…) que dans cette relation conflictuelle qu’il mène avec lui-même, mu qu’il est par un désir de changer radicalement de vie.
(c) Thibaut Baron
Si la première partie, très touchante, voit le héros en prise avec ses doutes et interrogations (le monologue avec le père est extrêmement touchant), la seconde partie, plus abstraite, laisse place à une performance proche de l’action painting à la pertinence discutable. En effet, désireux de contrebalancer le réalisme de la première partie par une exploration d’un monde coloré introspectif dont nous ne pouvons trop dévoiler ici les tenants et aboutissants, Wajdi Mouawad s’empêtre dans une démonstration lourdingue qui, si elle aurait pu fonctionner de manière autonome, s’étire de trop, ne pouvant que souffrir de la comparaison avec la première partie. Trop illustrative, elle accumule les démonstrations et enfonce des portes ouvertes.
Moins écrite que ses précédentes pièces, plus intime et personnelle aussi, Seuls fonctionne malgré sa seconde partie, par cette peinture qu’elle fait d’un personnage très à la brèche et par cette tendresse qu’elle dégage tout du long.
A noter que l’édition papier du texte de Seuls a fait l’objet d’un très beau travail aux
Editions Actes-Sud Léméac, mélangeant réflexion sur l’écriture, peintures et autres fragments. Un très bel objet qui poursuit de manière pertinente l’aventure scénique proposée par Mouawad.
A découvrir jusqu’au 29 mars au Théâtre National de Chaillot.
Texte, mise en scène et jeu Wajdi Mouawad
Dramaturgie, écriture de thèse Charlotte Farcet
Conseil artistique François Ismert
Assistance à la mise en scène Irène Afker
Suivi artistique en tournée Alain Roy
Scénographie Emmanuel Clolus
Éclairage Éric Champoux
Costumes Isabelle Larivière
Réalisation sonore Michel Maurer
Musique originale Michael Jon Fink
Réalisation vidéo Dominique Daviet
Production Au Carré de l’Hypoténuse, France – Abé Carré Cé Carré, Québec – compagnies de création
Coproduction Espace Malraux, Chambéry / Le Grand T, Nantes / Le Théâtre 71, Malakoff / La Comédie de Clermont-Ferrand / TNT, Toulouse / Théâtre d’Aujourd’hui, Montréal
Avec le soutien de la Délégation générale du Québec
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Entendu dans la salle : "Il pourrait penser un peu aux techniciens Mouawad… c’est lui qui nettoie après peut-être ?"
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