En 2006, Stéphane Braunschweig montait au TNS dont il était alors le directeur « Vêtir Ceux Qui Sont Nus » dans une mise en scène austère qui ne nous avait pas totalement convaincus. Hanté par l’œuvre de Luigi Pirandello, il revient cette fois-ci avec la pièce culte de l’auteur, « Six Personnages en Quête d’Auteur », actuellement au Théâtre de la Colline après un passage en demi-teinte à Avignon.
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Alors qu’ils sont en pleine répétition de leur spectacle, des comédiens de théâtre et leur directeur sont interrompus par six individus qui se réclament Personnages. Parce qu’ils ont été injustement abandonnés par l’auteur qui les écrivait, ces derniers demandent à la troupe d’interpréter leur rôle afin que leur drame prenne vie et que leur œuvre prospère. De ce travail naitra un questionnement sur les places respectives des personnages, de ceux qui les incarnent et de ceux qui les écrivent ainsi qu’une réflexion sur ce qui oppose ou unit réalité et fiction.
« Quel auteur pourra jamais dire comment et pourquoi un personnage est né dans son imagination ? Le mystère de la création artistique est le mystère même de la naissance naturelle. Une femme, parce qu’elle aime, peut désirer devenir mère ; mais ce désir seul, si intense soit-il, ne peut suffire. » _ Six Personnages en Quête d’Auteur.
Créée à Rome en 1921, la pièce de Pirandello,
Six Personnages en Quête d’Auteur, tentait, par la mise en abyme dont elle est devenue l’un des meilleurs exemples, de faire la critique de ce théâtre centré sur la psychologie qui était à la mode en ce début du XXe siècle. Influencé par les écrits de
Benedetto Croce (1866-1922), Pirandello y entend libérer les personnages en leur prêtant une autonomie qui leur permettrait de vivre indépendamment de leur auteur. En effet et d’après Pirandello, en psychologisant à outrance leur personnage, les acteurs enferment l’imaginaire du spectateur dans une version réduite qui ne laisse plus aucune place à l’abstraction tant tout est figé dans la représentation et l’incarnation. Ainsi, toujours d’après Pirandello, le rôle du metteur en scène serait de revenir à l’essence même des personnages en parvenant à les laisser s’exprimer de la manière la plus large qui soit.
(c) Elisabeth Carecchio
Stéphane Braunschwheig s’empare de cette thématique quelque peu désuète et la confronte, en l’emmenant plus loin encore et en le dépoussiérant, à cette idée du théâtre moderne qui désacralise tout à la fois le travail de l’auteur que celui du metteur en scène. Ainsi, l’adaptation de Braunschweig s’ouvre par une scène de « lecture à la table » typique du travail théâtral actuel qui interroge le metteur en scène sur ses comédiens et la vision qu’ils ont de la pièce, cela dans le but de bâtir ensemble ce que sera le spectacle à venir. Sont ainsi abordées les thématiques très contemporaines des collectifs d’acteurs et de l’écriture de plateau ainsi que celles, plus ouvertes, de la télé-réalité et des réseaux sociaux. Par cette introduction, Braunschweig offre à l’œuvre de Pirandello une nouvelle dimension en opposant trois théâtres là où Pirandello n’en opposait que deux1 : le théâtre ancien dénoncé par Pirandello, le théâtre nouveau tel qu’il le défendait et enfin le théâtre contemporain tel que Braunschweig le décrit et le dénonce parce que corrompu par la société et ses travers.
Ainsi, les personnages de Pirandello qui fonctionnaient suivant l’usage des « emplois » (la mère endeuillée, le belle-fille libérée et meurtrie, le rebelle au lourd secret…) sont ici caricaturés au possible par les comédiens et rappellent ainsi les personnages "castés" des télé-réalités (la mère possessive, la Bimbo lubrique, l’adolescent immature…). Par cette pirouette, Stéphane Braunschweig tente de moderniser le texte de l’auteur italien pour en livrer une version qu’il espère percutante.
L’effort, s’il est louable, est d’autant plus remarquable que l’on sait le metteur en scène très _voire trop_ attaché au texte puisqu’il se permet ici une réécriture du texte initiale et l’insertion de nouvelles séquences.
« En 2002, après avoir monté Les Revenants à Francfort, une partie de la critique allemande m’avait reproché de faire un théâtre trop respectueux du texte, au moment où, en effet, on expérimentait partout la déconstruction du texte et des personnages. J’avais été troublé par ces réflexions et je m’étais dit qu’il serait intéressant de monter Six personnages en Allemagne, en faisant arriver les personnages de Pirandello et leur drame familial dans une répétition d’un spectacle « postdramatique », déconstruit, quelque part dans un théâtre berlinois des années 2000. Je voulais provoquer une tension polémique entre le théâtre dramatique et ce théâtre postdramatique ou post-moderne d’aujourd’hui. Cela m’amusait aussi, car la pièce de Luigi Pirandello est peut-être aussi une des premières à travailler sur la déconstruction de la fiction, à faire apparaître des personnages comme un matériau déconnecté de leur auteur… Comme je ne me sentais pas capable d’écrire ça en allemand, j’ai remis le projet à plus tard. » Stéphane Braunschweig à propos de Six Personnages en quête d’auteur.
(c) Elisabeth Carecchio
L’effet quant à lui, plonge en demi-teinte dans la pertinence paresseuse : l’introduction, si elle amuse, est un peu lourde et trop explicative : on comprend tout de suite l’intention de Braunschweig et cela manque cruellement de subtilité. Cette absence de finesse est visible jusqu’à la scénographie quelque peu "tarte-à-la-crème" : le plateau de théâtre des comédiens est une sorte de page blanche pliée en deux et vierge de tout artifice (il y reste tout à écrire) et le fond de la scène est un immense miroir qui reflète les spectateurs (il y est tout écrit). Les captations vidéos filmées en live et projetées en fond n’apportent pas grand-chose, et le final, grandiloquent, est trop pompeux pour être apprécié à hauteur de l’intention.
Restent les comédiens qui sont tous très justes, notamment
Claude Duparfait en directeur désemparé et
Maud le Grévellec, très touchante en belle-fille très à la faille.
C’est donc une version mi-figue, mi-raisin que nous propose Braunschweig de ces
Six Personnages en Quête d’Auteur, une version au final assez propre _ ringarde ?_ qui, si elle permet de passer un bon moment et de redécouvrir un classique du théâtre, n’y apporte au final pas grand-chose de nouveau.
A voir jusqu’au 07 octobre au Théâtre de La Colline et en tournée.
Théâtre national de Bretagne, Rennes
du mercredi 10 au samedi 20 octobre 2012
La Filature, Scène nationale, Mulhouse
du mercredi 24 au vendredi 26 octobre 2012
Théâtre de L’Archipel, Perpignan
jeudi 8 et vendredi 9 novembre 2012
Théâtre de la Cité, Théâtre national de Toulouse-Midi-Pyrénées
du mercredi 14 au vendredi 16 novembre 2012
Scène nationale de Sénart, Combs-la-Ville
du jeudi 22 au samedi 24 novembre 2012
La Passerelle, Scène nationale Saint-Brieuc
mercredi 28 et jeudi 29 novembre 2012
Centre dramatique national d’Orléans Loiret Centre
du mercredi 5 au vendredi 7 décembre 2012
La Comédie de Valence, Centre dramatique national
mercredi 12 et jeudi 13 décembre 2012
Nouveau théâtre, Centre dramatique national de Besançon et de Franche-Comté
jeudi 20 et vendredi 21 décembre 2012
adaptation, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig
costumes Thibault Vancraenenbroeck
lumière Marion Hewlett
collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
son Xavier Jacquot
vidéo Sébastien Marrey
assistantes à la mise en scène Pauline Ringeade et Catherine Umbdenstock
avec Elsa Bouchain, Christophe Brault, Caroline Chaniolleau, Claude Duparfait, Philippe Girard, Anthony Jeanne, Maud Le Grévellec, Anne-Laure Tondu, Manuel Vallade, Emmanuel Vérité
avec la participation d’Annie Mercier
Entendu dans la salle :
"_ T’en as pensé quoi ?
_ Hey t’as vu, y’avait Eric Naulleau dans la salle !"
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(1) Voir le texte « Illustrateurs, acteurs et traducteurs » de Pirandello dans "Écrits sur le théâtre et
la littérature", Folio essais, 2000).
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