"Sunderland", m.e.s. Stéphane Hillel – Petit Théâtre de Paris

Sunderland fait partie de ces pièces qui, ni brillamment écrites, ni brillamment mises en scène, ni brillamment interprétées, conquièrent le spectateur par justement une honnêteté et une modestie des plus remarquables.
 

 
Parce qu’elle n’a pas assez d’argent aux yeux des autorités pour subvenir aux besoins de sa sœur autiste Jill (Léopoldine Serre), Sally (Élodie Navarre) va devoir trouver une solution et cela au plus vite. Aidée par sa colocataire Ruby (Constance Dollé), une opératrice de téléphone rose à l’amitié indéfectible, et par un de ses amis tout à sa cause acquise (le colosse Vincent Deniard), elle se lance alors dans un plan invraisemblable : devenir mère porteuse pour venir en aide à un couple fortuné.
 
Sunderland, bien qu’étant le nom de la pièce, en est avant tout un des personnages principaux : la ville anglaise, décrite avec sensibilité, s’impose d’elle-même au bout de quelques minutes : il y pleut si souvent qu’on a l’impression « d’être né dans une machine à laver », et ses habitants, pour tromper l’ennui, n’ont d’autres choix que de se rendre aux matchs de football comme d’autres vont à la messe. L’usine de nuggets y a récemment fermé pour cause de grippe aviaire et l’on parle d’une reconversion en crématorium (« travailler là où tu vas finir, c’est pas un enterrement : c’est un pot de départ »). La lumière qu’elle distille au travers des fenêtres est tout à la fois aveuglante et grise, presque charbonneuse. Une lumière de cité industrielle inféconde. Une lumière morte de cité dortoir.
 

(c) Pascal Gely / CDDS Enguerand
 

En se basant sur un drame social, Clément Koch, l’auteur de Sunderland, bâtit une fable sociale dénuée de pathos. Il n’est en effet ici pas question de faire pleurer le public, bien que quelques scènes soient très sincèrement poignantes, mais bel et bien de prendre de la distance et cela par le biais de l’humour. La dédramatisation fonctionne, sans toutefois faire perdre de vue la situation tragique qui unit les différents protagonistes. Parce qu’il a vécu quelques années en Angleterre, l’auteur a su tirer de son observation le terreau nécessaire à l’écriture de ce texte : on y retrouve un humour très british pertinemment adapté au public français. L’écriture, bien que parfois un peu légère, fait preuve d’une grande sincérité qu’on ne peut que féliciter.
 
La mise en scène de Stéphane Hillel est en accord avec cette simplicité: sans aucun artifice, la pièce respecte de manière très cinématographique le cahier des charges imposé par le texte. Au départ trop séquencée par l’utilisation de noirs quelques peu répétitifs, l’intrigue se met en place assez vite, les différents tableaux s’enchainent avec rythme et la pièce prend véritablement corps lorsque Sally entreprend les démarches nécessaires à la concrétisation de sa décision.
 
Le décor est réaliste (un appartement anglais modeste) et la scénographie classique. Ce choix de mise en scène s’avère une vraie bouffée d’oxygène puisqu’elle gomme toute prétention pour ne retenir de l’histoire que sa plus simple vérité et tout cela sans user des ficelles parfois grossières que sont l’emphase et la comédie. Peut-être pouvons-nous néanmoins reprocher les apparitions successives du personnage de la mère qui intervient tel un fantôme et qui semble n’être là que pour rappeler que nous sommes bien au théâtre sans rien apporter de consistant à l’ensemble ainsi que le traitement caricatural du couple d’avocats qui sombre dans la facilité et l’autoparodie. Mais ces défauts anecdotiques ne parviennent pas à nuire à l’ensemble de la pièce tant elle fait preuve d’une grande cohérence.
 
Au niveau des références enfin, la pièce puise dans le cinéma en convoquant tout à la fois le Shortcuts de Robert Altman, Le Père Noël est une Ordure du Splendide que bien sûr les fables sociales anglaises les plus célèbres (des Virtuoses en passant par Full Monty et les meilleurs films de Ken Loach) qui servent de point de départ stylistique à cette pièce.
 
Pour conclure, la véritable réussite de Sunderland tient très justement à l’empathie qu’elle finit par susciter pour ses personnages : le spectateur s’attache peu à peu à ses deux amies qui n’ont d’autre choix que de s’affirmer pour survivre. Une très jolie pièce dont le succès ne fait sans doute que commencer. 

 

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A propos de Alban Orsini

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