Le spectacle commence dans un silence : celui d’une famille dans laquelle rien ne se passe, rien ne se dit. Le petit déjeuner est pris sans que cela soit important. La table est immense, les croissants ont l’air chaud. Et puis, il y a une présence : celle de Tartuffe, dévot dont Orgon, le chef de famille, semble s’être épris au grand dam du reste de la famille.
Mais quelle est la nature de cette emprise au juste ? Est-elle politique, religieuse ou amoureuse ? Aucune piste n’est donnée par Molière et c’est en ce sens que Tartuffe est une des pièces de l’auteur les plus mystérieuses, car bâtie sur un non-dit ambigu et libre de toute interprétation.
(c) Thierry Depage
Pour la mise en scène, Luc Bondy choisit la modernité : la famille est très contemporaine, Orgon étant un homme d’affaires respecté vissé à son attaché-case, son Elmire, une femme très à la page. L’appartement dépeint est également moderne : érigé sur deux niveaux, il permet d’annoncer les personnages en les faisant déambuler à l’étage. Mais qu’apporte le metteur en scène à ce texte culte ? À vrai dire pas grand-chose.
Il est bon de rappeler que ce Tartuffe-là est une reprise de celui monté à Vienne avec d’autres comédiens dans le but de remplacer le Shakespeare devant être mis en scène par un Chéreau parti trop tôt. Remplaçant au pied levé le cinéaste, Bondy s’empare du casting et reprend donc le flambeau. Doit-on parler pour autant de précipitation ? Cela serait un peu simple, mais il faut bien l’admettre : si l’ensemble est maitrisé, le rendu est malheureusement bien trop conventionnel. Tout au plus Bondy tente-t-il d’érotiser à l’extrême la relation entre Elmire et Tartuffe, mais l’intention tape une nouvelle fois à côté. Sans interprétation ni parti pris, la proposition ne décolle pas.
(c) Thierry Depage
Micha Lescot est bien évidemment parfait en Tartuffe, mais cela reste un peu facile : le jeune homme, toujours nonchalant avec cette façon si particulière de s’accaparer l’espace et la langue, s’avère une parfaite tête à claques : longiligne, mais pourtant bedonnant, sorte de Gaston Lagaffe Bourgeois Bohême à la langue lourde, il ne sort pas vraiment de ce qu’il sait faire. Clotilde Hesme quant à elle, sert une Elmire moderne et sexy, mais une fois encore, le strict minimum semble être rendu.
Seule Lorella Cravotta sort son épingle du jeu : interprétant Dorine, la servante d’Orgon, elle compose un personnage tout à la fois fort et drôle.
Le dénouement enfin, quelque peu caricatural et conventionnel, voit le sacre du jeune couple Cléante et Valère dans une nouvelle scène de repas qui expédie Tartuffe un peu trop rapidement.
Clap de fin sur une impression de « So What ? »
On l’aura compris, si le Tartuffe de Bondy s’avère précis et correctement interprété, il manque cependant cruellement de ce petit quelque chose qui caractérise l’interprétation du metteur en scène. Le spectateur a ainsi l’impression d’assister à un spectacle qui fait son travail sans grande conviction, comme un serveur qui déposerait mécaniquement les plats en regardant ailleurs. Il n’y aura pas de pourboire, malgré le bon moment passé.